Jeudi 7 mars, le parc Futuroscope a accueilli un événement pour le moins inédit : l’assemblée générale d’Eliance, fédération des entreprises de conseil et service en élevage. À cette occasion, l’organisme a réuni autour d’une table ronde tout un panel d’acteurs pour échanger sur l’application de l’intelligence artificielle dans le monde de l’élevage. CScience s’est entretenu avec Fayçal Rezgui, lyonnais expert en IA et directeur de Cynapps, quelques heures après son intervention.
Fayçal Rezgui se définit comme un entrepreneur passionné par le vivant et l’innovation. Expert en data sciences et en intelligence artificielle, il est le directeur et co-fondateur de Cynapps, une société de conseils proposant des logiciels en IA à destination des entreprises. Jeudi 7 mars, il s’est rendu au Futuroscope non pas pour profiter des attractions du grand parc de loisirs de Poitiers, mais pour participer à une table ronde autour de l’IA et l’agriculture.
Son intervention s’inscrivait dans le cadre de l’assemblée générale d’Eliance, une fédération de 126 coopératives et entreprises de l’élevage, et avait pour thème : « L’Intelligence Artificielle dans le secteur agricole : Quelles opportunités et quelles menaces ? Quelles applications concrètes pour nos entreprises et nos métiers du conseil et services en élevage ? ». Au total, 120 personnes ont assisté à l’assemblée générale, rejointes par 80 participants supplémentaires sur place ou en ligne pour la partie publique de l’événement.
Un enjeu majeur : acculturer le monde de l’élevage aux IA
Cynapps, issue de l’industrie, s’est intéressée au monde de l’élevage grâce à OKTEO, une entreprise de services numériques (ESN) coopérative orientée vers la transformation digitale qui s’adresse à tous types de secteurs, dont l’AgriTech. Fayçal Rezgui se souvient avoir alors découvert un monde de l’élevage très connecté : « Robots de traite automatisée, logiciels de gestion d’élevage… La technologie était déjà bien présente », indique-t-il.
Ces derniers mois, l’entreprise a déployé plusieurs projets IA qui ont bénéficié à pas moins de 35 000 exploitants répartis sur l’ensemble du territoire français. Cynapps étant classée « référent IA » par Bpifrance, la phase de diagnostic des projets proposés est prise en charge à 50 % par l’organisme public. À cela s’ajoutent 30 000 euros de financement, toujours par la banque publique des entrepreneurs, pendant la phase de développement.
Pendant la table ronde, Fayçal Rezgui confie avoir ressenti beaucoup d’interrogations de la part de tous les professionnels de l’élevage. « Tout le monde ressent que l’IA peut apporter une réelle plus-value à leurs métiers, mais la plupart sont un peu perdus et ne savent ni comment s’y prendre, ni par où commencer », déclare-t-il. Les inquiétudes autour de l’IA portent sur la sécurité des données et la réelle utilité de cette technologie, dans un secteur déjà en crise. Actuellement, les coûts d’accès à ces technologies font partie des préoccupations majeures des éleveurs.
« Tout le monde ressent que l’IA peut apporter une réelle plus-value à leurs métiers, mais la plupart sont un peu perdus et ne savent ni comment s’y prendre, ni par où commencer »
— Fayçal Rezgui, directeur et co-fondateur de Cynapps
L’objectif de son intervention était donc simple : acculturer et faire prendre conscience à tout le secteur agricole du potentiel de l’IA. « Je voulais expliquer à ceux qui commencent à s’y intéresser qu’ils ont fait le bon choix, et à ceux qui n’ont pas encore sauté le pas qu’ils risquent de prendre du retard dans un monde qui évolue rapidement », explique-t-il, ajoutant que « certains pourraient devenir dépendants de grands acteurs multinationaux s’ils ne s’accaparent pas de cette technologie et deviennent eux-mêmes acteurs ». Loin d’être une fatalité, il rappelle que les technologies d’IA sont accessibles à tous. La clé selon lui réside dans la nécessité « d’enlever les fantasmes et les gadgets autour de l’intelligence artificielle tout en restant cohérent avec les réalités du monde agricole. »
Il relève néanmoins dans l’audience une certaine envie d’en apprendre plus, car certains réalisent que l’IA va leur permettre de faciliter leur quotidien et de résoudre une partie de leurs problèmes. Il rapporte par exemple que quelques acteurs ont déjà osé faire le premier pas, à l’image d’OKTEO, désormais partenaire de Cynapps. Cette société réalise des diagnostics de data en intelligence artificielle dans les secteurs de la plasturgie, de l’industrie ou encore de l’AgriTech. Son approche représente une « forte valeur ajoutée en IA pour faire émerger des projets adaptés au monde agricole », selon Fayçal Rezgui.
« Certains pourraient devenir dépendants de grands acteurs multinationaux s’ils ne s’accaparent pas de cette technologie et deviennent eux-mêmes acteurs »
— Fayçal Rezgui, directeur et co-fondateur de Cynapps
Les multiples opportunités de l’IA pour les éleveurs
Interrogé sur les opportunités de cette technologie dans le monde agricole, Fayçal Rezgui évoque trois grands axes. Il y a tout d’abord les IA qui croisent une multitude de données pour apporter des consignes expertes, à l’image des assistants qui accompagnent les techniques d’élevage, les technologies dédiées à la prédiction et à l’anticipation afin d’identifier la tâche nécessaire à mener tout en assurant le bien-être animal, ou encore les outils permettant de réduire la charge mentale des éleveurs et des éleveuses.
Fayçal Rezgui insiste particulièrement sur ce dernier point, rappelant que la comptabilité, la rédaction et les tâches administratives en général représentent « des temps très lourds et une perte de valeur inutile qui empêchent les éleveurs de se consacrer à leur vrai métier » Et c’est bien là l’objectif de l’intelligence artificielle : déléguer les tâches pouvant être automatisées aux technologies – souvent plus rapides et plus efficaces que l’humain – pour laisser plus de place à l’essentiel.
Le traitement des données, le monde génétique, le conseil en élevage, le contrôle laitier, la gestion des risques sanitaires, sont donc autant d’exemples d’applications concrètes de l’IA dans le monde agricole, comme détaillé précédemment par la rédaction de CScience. Ces différents mondes, qui se connectent quotidiennement, représentent une quantité infinie de donnée. D’après Fayçal Rezgui, la valeur ajoutée d’un projet IA appliqué au secteur de l’élevage se fera dans le croisement de ses univers multiples.
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« Garder l’humain au centre, rajouter l’IA ensuite »
Il évoque néanmoins la particularité du monde agricole. « Si l’IA reste une technologie très puissante qui permet de résoudre des problèmes auxquels on ne pouvait pas répondre auparavant, elle ne peut pas s’appliquer aussi facilement à ce corps de métiers ». Fayçal Rezgui explique que les éleveurs – et agriculteurs plus largement – possèdent une véritable expertise qu’il est difficile d’adapter aux technologies d’IA. Il rappelle à ce titre la nécessité de « garder l’humain au centre, rajouter l’IA ensuite ».
« Si l’IA reste une technologie très puissante qui permet de résoudre des problèmes auxquels on ne pouvait pas répondre auparavant, elle ne peut pas s’appliquer aussi facilement à ce corps de métiers »
— Fayçal Rezgui, directeur et co-fondateur de Cynapps
Quant aux perspectives concrètes, le directeur de Cynapps révèle en avant-première le prochain projet de l’organisme dédié au monde de l’élevage : SOPHIA, une application permettant aux éleveurs de capitaliser leurs compétences et leurs connaissances et de les transmettre facilement à leurs pairs. Concrètement, ils auront accès à une plateforme, apparentée à un réseau social, où ils pourront publier du contenu multimédia sur les bonnes pratiques en matière d’élevage. Une nouvelle façon intuitive d’échanger entre éleveurs qui pourrait s’adapter aux besoins grandissant des jeunes générations, encore trop peu intéressées par ce secteur.
Reste une grande interrogation : l’IA s’adresse-t-elle réellement à tous types d’élevage ? « Bonne question », sourit Fayçal Rezgui. Selon lui, la réponse se trouve dans la capacité de mutualité du secteur. « Le monde agricole fonctionne beaucoup en coopératives. Sa force réside dans ses organismes très puissants qui regroupent une multitude d’entrepreneurs et d’exploitants, leurs donnant les capacités financières de redistribuer aux plus petits. » À voir, en pratique, si les petites structures prendront la vague de l’IA dans les mois à venir.
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Crédit Image à la Une : Istock : Tanit Boonruen