Crise agricole : Les solutions technologiques face à la colère des producteurs

Crise agricole : Les solutions technologiques face à la colère des producteurs

Depuis quelques jours, la colère des agriculteurs gronde partout en France. D’abord en Occitanie puis en Rhône-Alpes et désormais jusqu’en Bretagne, les agriculteurs français dénoncent l’explosion des charges, la chute des revenus, la complexité des normes environnementales européennes et une multitude d’autres facteurs synonymes d’un système en faillite. Et si les innovations technologiques apportaient un début de réponse ? CScience a enquêté sur les solutions AgriTech qui facilitent déjà le quotidien des agriculteurs et dessine le modèle agricole de demain.

Arnaud Rousseau affiche son soutien suite au drame de l’Ariège qui a entraîné la mort d’une agricultrice et sa fille. Crédit photo : Arnaud Rousseau

« Des actions vont être menées dans ‘près de 85 départements’ d’ici vendredi, a annoncé le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) Arnaud Rousseau mardi soir sur France 2.

Au lendemain du drame qui coûté la vie à une agricultrice et sa fille sur un barrage routier dans l’Ariège, la tension monte parmi les manifestants. Selon le président du syndicat professionnel majoritaire dans la profession agricole en France, “cette colère est inédite pour le monde agricole ». 

Les chiffres de la colère

Et cette colère est multifactorielle. Il y a en première ligne, la hausse des prix : celle du gazole non routier (fin de la défiscalisation), des tarifs de l’électricité (+ 40 % depuis février 2022) ou encore du coût des intrants (+ 25,9 % en 2022), combinée à une faible rémunération (l’INSEE prévoit un recul de 9% en 2023). 

Vient ensuite la menace du climat et parmi ses conséquences, la pression émanant de l’Europe d’un point de vue réglementaire. Selon une étude du centre de recherche de la Commission européenne de 2021, le pacte vert européen pourrait entraîner une baisse de la production de 5 à 15 %. Cela impliquerait une hausse des importations des pays tiers ne respectant pas les mêmes normes que l’Europe. 

« Le pacte vert européen pourrait entraîner une baisse de la production de 5 à 15 % »

– Centre de recherche de la Commission européenne

Sur le dérèglement climatique en lui-même, les agriculteurs français sont déjà affectés : l’étude Explore 2070, à laquelle est associé le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) indique que « d’ici à 2050, les précipitations devraient baisser de 16 à 23 % et le débit moyen annuel des cours d’eau diminuer de 10 à 40 % ».

À cela s’ajoute une forte stigmatisation des agriculteurs dans la société. Ils sont perçus comme de grands « pollueurs » par leur recours au produits phytopharmaceutiques et beaucoup peinent à faire reconnaitre la souveraineté de leur métier pourtant essentiel en France.

L’ensemble des ces données viennent renforcer les enjeux de formation et d’innovation pour augmenter la productivité des agriculteurs tout en réduisant leur temps de travail. Le numérique, la robotique et l’ensemble des nouvelles technologies de ruptures deviennent alors autant de pistes à explorer permettant la réduction de la pénibilité pour les agriculteurs tout en développant l’attractivité du métier.

Accompagner la révolution du monde agricole 

Sébastien Crépieux et fondateur de Invers et ambassadeur de La Ferme Digitale pour la Région Sud Est. Crédit photo : Invers

Si son modèle agricole traditionnel vacille, la France ne manque pas de ressources. Avec près de 215 start-up AgriTech et FoodTech, elle se situe à la première place au sein de l’Union européenne en termes de levées de fonds dans les domaines de l’AgriTech et de la FoodTech, et cinquième au niveau mondial. Et cette tendance semble exponentielle : les fonds ont été multipliés par dix en cinq ans, passant de 37 millions d’euros en 2017 à 490 millions d’euros en 2022.

Sébastien Crépieux est ambassadeur de la région Sud Est pour La Ferme Digitale. Fondée en 2016 par 5 start-up, cette association a pour vocation de représenter l’innovation tricolore dans les domaines de l’alimentation et de l’agriculture. Elle réunit 120 adhérents qui représentent 211,5 millions d’euros de levée de fonds en 2022, soit près de la moitié de l’investissement total pour ce secteur sur la même année. Il explique que l’association entretient “un lien fort avec le monde agricole”. Présente sur tous les salons professionnels agricoles, ses ambassadeurs ont “les pieds dans la ferme” en ses termes.

Selon lui, les manifestations des agriculteurs sont entièrement justifiées. Il confie à CScience soutenir “totalement leur combat sur les réglementations environnementales” et souhaite appliquer le principe de réciprocité partout en Europe. Il cite l’exemple de sa propre expérience avec Invers en indiquant être soumis à des contrôles perpétuels sur ses croquettes françaises aux insectes, tandis qu’il subit la concurrence déloyale “de vers chinois qui rentrent en France sans aucun contrôle et à des prix extrêmement compétitifs”.

« [Je soutiens] totalement leur combat sur les réglementations environnementales »

– Sébastien Crépieux, ambassadeur de la région Sud est pour France Digitale

Par ailleurs, le dernier rapport de La Ferme Digitale montre que les 824 000 agriculteurs en France sont déjà connectés. La grande majorité utilise internet dans le cadre de leur profession (81%), beaucoup possèdent au moins un outil robotisé (75%) et près de la moitié ont recours à des systèmes GPS pour améliorer la précision de leurs travaux. Face à l’urgence climatique, économique et démographique, la technologie semble déjà apporter quelques réponses dans le monde de l’agriculture.

Des solutions pour aider 

Julien Denormandie, ex-Ministre de l’Agriculture, a porté la cause de l’AgriTech en France. Crédit photo : Julien Denormandie

« Faisons de la France le berceau mondial de l’AgriTech ! C’est avec tout l’écosystème, des start-ups aux financeurs en passant par les territoires, que nous porterons cette dynamique au service de notre souveraineté agroalimentaire », déclarait déjà Julien Denormandie, alors ex-Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation lors du lancement de l’initiative publique French AgriTech en 2021.

Avec l’effervescence des intelligences artificielles, les technologies sont depuis devenues un enjeu de poids pour accompagner la transformation du monde agricole. Géolocalisation des troupeaux allaitants, plateformes de financement dédiées, aide à la reprise de fermes…En attendant les « réponses concrètes » promises par le gouvernement cette semaine, il existe déjà une multitude de solutions technologiques pour faciliter le quotidien des agriculteurs.

Elles peuvent se résumer en cinq grandes familles :

  • Les organismes qui facilitent l’installation des nouveaux agriculteurs. C’est le cas de FEVE, foncière solidaire qui permet de financer l’acquisition de fermes grâce à un mécanisme de location avec option d’achat. Elle propose également une plateforme qui simplifie le parcours d’installation avec des outils et du contenu pour se former.  Ici, l’enjeu est grand lorsque l’on sait qu’avec un tiers d’agriculteurs de plus de 55 ans, environ 166 000 exploitants ou coexploitants agricoles seront partis à la retraite d’ici dix ans. Il devient alors primordial de donner les moyens aux futurs agriculteurs de s’installer !

La start-up Baoba propose des solutions de gestion du bétail. Crédit image : Baoba

  • Les logiciels de suivi des productions animales et végétales à l’instar de Baoba, application de gestion d’exploitation agricole et de troupeaux qui fournit une vision 360° en temps réel de l’exploitation.
  • Les solutions qui accompagnent les agriculteurs dans leur transition vers une agriculture régénératrice, avec l’exemple de MyEasyFarm qui permet d’établir le scénario de référence Carbone de l’exploitation et de simuler les gains potentiels d’un changement de pratiques culturales.
  • Les innovations tournées vers la pérennisation des revenus, comme Invers, des protéines d’insectes destinées à la nourriture animale permettant à chaque agriculteur de disposer de sa propre filière de production d’alimentation animale.
  • Les start-up spécialisées dans les cultures plus pérennes avec le modèle de Mycophyto qui augmente la biodiversité des sols grâce à des champignons mycorhiziens adaptés à chaque terroir et à chaque culture.

« Ces solutions ne vont pas résoudre la crise, mais elles vont dans le bon sens pour aider les agriculteurs et faciliter leur installation », conclut Sébastien Crépieux.

Un autre regard qui, espérons-le, contribuera à apaiser les tensions et aura sa place au Salon de l’Agriculture dans un mois tout pile.

Crédit Image à la Une : IStock/Simon Skafar