Les réseaux sociaux, nouvelles arènes du débat politique

Les réseaux sociaux, nouvelles arènes du débat politique

Entre espoirs, colère, et peur, la tension monte dans le pays, à quelques jours du second tour des législatives. Une tension exacerbée par les réseaux sociaux, outils très plébiscités par les têtes de parti de ces élections. Pour la première fois, c’est sur TikTok, X et Instagram que se joue véritablement le scrutin de dimanche… Jusqu’à affaiblir le front républicain. Explications. 

Une crise politique inédite secoue la France depuis la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier. Les candidats et candidates aux élections législatives ont dû s’organiser en quelques semaines pour mener une campagne éclair. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les réseaux sociaux, déjà largement utilisés pour les élections européennes et en réponse à une tendance exponentielle amorcée dans les années 2010.

Infographie: Les réseaux sociaux prennent une place croissante dans l'info | Statista

La première source d’information en ligne

Si les réseaux sociaux ont pris une si grande place dans le débat politique, c’est avant tout parce qu’ils sont devenus la principale source d’information en ligne.

Selon le dernier rapport sur l’information numérique, publié par l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme le 17 juin dernier, les réseaux sociaux représentent désormais le premier point d’accès à l’information en ligne, devançant les moteurs de recherche. Si dix ans plus tôt, seulement 18 % des Français consultaient les réseaux sociaux pour s’informer, ils sont plus d’un tiers aujourd’hui (35 %).

Une tendance qui s’est totalement inversée pour la presse écrite : alors que 46 % des Français indiquaient s’informer par son biais il y a dix ans, ils ne sont plus que 14 % en 2024. Un renversement des usages qui invite le débat politique dans de nouveaux espaces de dialogue – ou non-dialogue.

TikTok, terrain de jeu privilégié pour les partis d’extrême-droite

Les élections européennes et la campagne en cours pour les législatives l’ont prouvé : les réseaux sociaux sont devenus de véritables outils de communication pour les politiques, et particulièrement pour les partis classés à l’extrême-droite. Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement National, est devenu la troisième personnalité politique française la plus suivie sur la plateforme de partage de vidéos TikTok avec 1,6 million d’abonnés, derrière le président de la République Emmanuel Macron (4,5 millions) et Jean-Luc Mélenchon, personnalité polémique et très controversée affiliée au Nouveau Front populaire (2,4 millions).

Marion Maréchal Le Pen comptabilise 179 000 abonnés sur le réseau social chinois et Florian Philippot 154 000, faisant mieux que des personnalités engagées auprès de partis majeurs. Manon Aubry de La France Insoumise (LFI) comptabilise par exemple 137 000 abonnés, François-Xavier Bellamy des Républicains (LR) 17 000, et Marie Toussaint du parti des Écologistes seulement 9 000. Un terrain de jeu qui a permis à tous ces candidats de véhiculer une image de proximité avec leurs abonnés, privilégiant la forme en dépit d’un véritable fond.

La polarisation du débat favorisé par l’ingérence russe sur X

Une étude intitulée Minuit moins dix à l’horloge de Poutine. Jusque là, tout se passe comme prévu, publiée dimanche 30 juin, démontre que sous la pression de comptes influencés ou pilotés par la Russie, le front républicain a été considérablement affaibli sur X. Son auteur, David Chavalarias, est directeur de recherche au CNRS et a publié « Toxic Data. Comment les réseaux manipulent nos opinions » en 2022.

Cartes calculées sur la période du 10 au 27 juin 2024, 3.5k comptes, mettant en évidence l’apparition de deux blocs sur X et rendant impossible la mise en place d’un front républicain face à l’extrême droite. Seuls les liens représentant 5 retweets ou plus sont affichés. Crédit : CNRS/ISC-PIF

En analysant des millions de tweets, le chercheur prouve que plusieurs comptes, dont un soutenu par le Kremlin, publient des vidéos anxiogènes et violentes du conflit israélo-palestiniens ou d’attitudes hostiles envers l’islam. L’objectif ? Toucher les communautés classées « à gauche » pour conforter et amplifier leurs opinions, et les pousser à réagir. À l’inverse, du contenu montrant la souffrance du peuple israélien est largement partagé aux profils classés « à droite », avec la même finalité.

Un compte qui a une forte empreinte numérique puisque qu’entre le 10 et le 27 juin, il a fait partie des dix profils cumulant le plus grand nombre de « retweets ». Cette stratégie, rendue possible par la création de milliers de robots sur les réseaux sociaux pour introduire ou amplifier certains messages mais aussi par la diffusion de fausses informations, vise à départager l’espace de dialogue en deux camps pour séparer les partis républicains plutôt que de les unir contre l’extrême droite.

Dans un entretien accordé il y a quelques jours à nos confrères du Nouvel Obs, David Chavalarias déclarait qu’« il ne fait aucun doute qu’un torrent de désinformation va continuer à se déverser jusqu’au second tour de ces législatives, dans le but d’inverser totalement le front républicain et de faire en sorte que des électeurs se réclamant de partis de gouvernement s’abstiennent, voire donnent leur voix à l’extrême droite. » Il soulignait également que « La réticence de plusieurs candidats et figures du camp macroniste [de la majorité présidentielle] à faire barrage au RN montre combien la stratégie de la polarisation, alimentée par les tentatives de déstabilisation du régime russe, a déjà fait des dégâts considérables. »

« […] il ne fait aucun doute qu’un torrent de désinformation va continuer à se déverser jusqu’au second tour de ces législatives, dans le but d’inverser totalement le front républicain et de faire en sorte que des électeurs se réclamant de partis de gouvernement s’abstiennent, voire donnent leur voix à l’extrême droite. »

— David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS

Raphaël Glucksmann, député européen et l’une des figures de proue du Nouveau Front populaire, a quant à lui décidé de quitter TikTok – sur lequel il avait 60 000 abonnés – plus tôt cette année, estimant que le réseau social chinois contribuait aux ingérences étrangères dans l’Union européenne. Un choix visionnaire et une stratégie drastique, qui n’ont malheureusement pas inspirés ses pairs.

Pour aller plus loin :

[ÉDITORIAL] Les algorithmes : Nouveaux marionnettistes de nos démocraties vacillantes

Crédit Image à la Une : Robin Worrall