Réchauffement urbain à Lyon : Face à un avenir projeté à 50 degrés en été, la résilience passe par les arbres

Réchauffement urbain à Lyon : Face à un avenir projeté à 50 degrés en été, la résilience passe par les arbres

Ce mercredi 3 juillet, plusieurs personnalités du monde académique, entrepreneurial et institutionnel venues du monde entier se sont réunies à Lyon pour parler d’un enjeu crucial : Le réchauffement urbain. À l’issue du symposium, il semblerait que la résilience des villes réside… Dans les arbres. Présentation de deux projets sur notre territoire.

Mercredi 3 juillet. Les interprètes s’agitent dans le fond du Salon Saône de la Brasserie de l’Ouest. Casques aux oreilles, mains sur le clavier, les grands esprits des quatre coins du monde sont venus échanger d’un sujet grave, et urgent : le réchauffement des villes. C’est le groupe Ingérop, en partenariat avec sa filiale Actierra, la start-up CityClimateX et le Département d’Aménagement et Science des Territoires de l’Université Jean Moulin de Lyon, qui les a réunis pour une réflexion commune sur la résilience des zones urbaines face au réchauffement climatique. Un brainstorming géant condensé sur deux journées – une ouverte au public suivie d’une seconde à huis clos.

Coopérer et innover pour répondre à un enjeu mondial majeur

Une soixantaine de personnes ont fait le déplacement pour le symposium sur le réchauffement urbain à Lyon. Crédit photo : Laurie Bruno

L’heure est grave, et l’enjeu brûlant. D’ici 2050, la population mondiale devrait augmenter de 2 milliards, soit 9,7 milliards d’humains. Actuellement, plus de la moitié d’entre eux vit dans des zones urbaines. Dans à peine plus de cinq ans, cette population devrait représenter 60 %, puis 70 % en 2050. La recherche sur les questions de climat urbain est donc cruciale, et l’innovation et la coopération apparaissent comme deux éléments clé pour en comprendre les conséquences et déployer des solutions durables économiquement, socialement et écologiquement.

« Nous sommes convaincus que la coopération pluridisciplinaire en recherche et développement est indispensable pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain en matière de gestion durable de la surchauffe urbaine », a rappelé en ouverture Lucille Alonso, docteure en géographie et aménagement des territoires, fondatrice de CityClimateX et cheffe de projets au sein du Pôle Climat et Résilience d’Actierra. C’est tout l’objectif de ce symposium, qui a mis en lumière tour à tour des projets concrets issus de la recherche opérationnelle, mais aussi des solutions engagées sur le terrain.

Les conférences du matin étaient consacrées aux modèles à l’international, pour inspirer la ville de Lyon et plus largement les métropoles européennes. Quatre « keynotes » ont proposé des allers-retours entre l’Amérique et l’Asie avec les travaux dans la ville de Portland, présenté par Vivek Shandas, les réalisations de la capitale Tokyo, expliquées par Alvin Varquez, les projets de la ville de Richmond, introduits par l’éloquent Jeremy Hoffman, et les recherches menées dans la ville de Taipei à Taiwan, détaillées à distance par Tzy Ping Lin puis appuyées par Ping Chun Chen.

« Nous sommes convaincus que la coopération pluridisciplinaire en recherche et développement est indispensable pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain en matière de gestion durable de la surchauffe urbaine »

– Lucille Alonso, docteure en géographie et aménagement des territoire

Les arbres de pluie, climatiseurs naturels en ville

Après une matinée riche d’inspiration à l’international, l’après-midi était consacré à un enchaînement de cas pratiques, notamment dans la métropole de Lyon. Deux innovations proches de chez nous se sont démarquées, à commencer par les arbres de pluie.

Gaëtane Deboeuf De Los Rios a présenté les bienfaits des arbres à pluie en phase de test dans le sixième arrondissement de Lyon. Crédit photo : Laurie Bruno

Gaëtane Deboeuf De Los Rios, ingénieure écologue et cheffe de projet à la Métropole de Lyon, a présenté les premiers résultats d’une innovation low-tech : les arbres à pluie. Ces derniers s’inscrivent dans la « Stratégie Ville perméable » portée par la métropole de Lyon, selon deux axes : travailler sur la ville en expansion, et transformer sur la ville existante. « Les arbres de pluie s’inscrivent dans l’axe de transformation de la ville existante. C’est lorsqu’on manque de place qu’on a besoin d’innover », explique l’ingénieure écologue. Concrètement, un arbre de pluie est un arbre existant dont on va agrandir la fosse pour capter une plus grande partie des eaux pluviales. Cette méthode peut aussi s’appliquer à des arbustes.

Elle donne l’exemple de la rue Juliette Recamier et la rue Vauban dans le sixième arrondissement de Lyon, où cinq arbres ont été requalifiés en arbres de pluie, et deux autre employés comme « témoins ». Plusieurs dispositifs technologiques ont été utilisés dans le cadre de cette étude, à savoir un détecteur de surverse dans la fosse, des capteurs de tensiomètre situés à 25, 50 et 75 centimètres de profondeur pour évaluer la tension du sol et donc le stress hydrique de l’arbre, des capteurs de suivi de la pousse placés sur les branches, et enfin différents dispositifs de suivi de l’impact sur les sites environnant.

« Les arbres de pluie s’inscrivent dans l’axe de transformation de la ville existante. C’est lorsqu’on manque de place qu’on a besoin d’innover »

– Gaëtane Deboeuf De Los Rios, ingénieure écologue et cheffe de projet à la Métropole de Lyon

Les résultats sont plutôt concluants. Sur la période de 2021 à 2023, seules cinq surverses ont été observées sur l’arbre du haut de la rue, mais aucune pour celui qui se situe en contrebas. « On observe sur la période de sécheresse de l’été 2022 une meilleur gestion du stress hydrique, avec de l’eau disponible sur les strates basses », souligne Gaëtane Deboeuf De Los Rios. Grâce à un volume plus large de ressources en eaux de pluie disponible, les résultats de recherche ont montré une meilleure croissance des arbres, mais aussi et surtout une plus grande capacité à évapotranspirer.

Johana Sanabria a rappelé la fragilité des arbres plantés en ville. Crédit photo : Laurie Bruno

Elle observe néanmoins un manque de résultats significatifs sur le confort thermique : La température de l’air n’est pas plus faible autour des arbres. Cela est dû selon la cheffe de projet au stade de développement des arbres – trop jeunes, et à leur environnement direct – des places de parking. En conclusion, elle confirme qu’il y a bien une meilleure collection des eaux pluviales, une recharge du sol en eau, une amélioration de la santé de l’arbre, mais pas de baisse significative de la température de l’air. Elle ajoute enfin que ces arbres de pluie contribuent également à l’amélioration du cadre de vie et à la création de zones favorables à la biodiversité. En fin de conférence, l’ingénieure a rappelé que plusieurs partenariats sont en cours avec la recherche universitaire pour poursuivre les études sur le développement de ces arbres de pluie.

Plus tard dans l’après-midi, Johana Sanabria, ingénieure de la gestion des eaux pluviales pour la société de conseils Pluie et Biodiv, a rappelé la fragilité des arbres urbains. « Ils nous apportent de l’ombre, ils permettent l’infiltration de l’eau dans les sols, et leur évapotranspiration rafraîchit leur environnement direct… Alors on en attend beaucoup d’eux ! » s’exclame l’ingénieure. Mais pour qu’ils puissent nous donner toute l’année, il faut qu’ils soient en bonne santé, dans un environnement sain et propice à leur croissance… Pas facile dans nos grandes métropoles. « En ville, ils ne sont pas au meilleur endroit pour répondre à tout ça », souligne Johana Sanabria. Une série de photos d’arbres isolés et décharnés survivant tant bien que mal au milieu de parking, de barres d’immeubles et de routes bétonnées appuient son propos. Alors s’appuyer sur la nature pour rafraîchir nos villes, oui, à condition de lui laisser de la place et d’en prendre soin.

« Ils nous apportent de l’ombre, ils permettent l’infiltration de l’eau dans les sols, et leur évapotranspiration rafraîchit leur environnement direct… Alors on en attend beaucoup d’eux ! »

– Johana Sanabria, ingénieure de la gestion des eaux pluviales à Pluie et Biodiv

Les îlots de fraicheur : l’exemple de L’EcOasis de Belleville-en-Beaujolais

Seconde innovation marquante du symposium, qui implique également des arbres : les îlots de fraicheur urbains. Julien Van Rompu, chef de projets recherche et innovation au sein d’Eiffage Route, est venu présenter un projet mis en place tout prêt de Lyon, à Belleville-en-Beaujolais. « Avec seulement 13 000 habitants, il y a moins d’ambition que Richmond, Lyon ou encore Tokyo, mais je vous assure qu’on a tout autant de volonté. » affirme-t-il. L’expert en développement de matériaux routiers innovants et bas carbone a d’abord rappelé la définition d’un îlot de chaleur urbain : un phénomène spatial mais aussi temporel, amplifié par le réchauffement climatique et l’activité humaine (transport humain, activité industrielle, rejet de chaleur des climatiseurs), par une morphologie urbaine créant un piégeage radiatif et des canyons urbains et par des surfaces et des matériaux de construction artificialisés et imperméabilisés. Il est caractérisé par une différence de température qui peut aller jusqu’à 5 degrés entre les centres urbains et les zones périurbaines environnantes.

Mais alors, comment rafraîchir les villes ? En utilisant des matériaux optimisés, recyclables et bas carbone, en proposant une gestion de l’eau à la parcelle dans l’objectif d’infiltrer et de stocker, plutôt qu’évacuer, mais aussi en développant des solutions fondées sur la nature. Ces principes prennent corps au sein du concept « EcOasis » proposé par Eiffage : « C’est une solution systémique d’îlot de fraîcheur associant un revêtement clair, une gestion intégrée de l’eau, et un substrat végétalisé » souligne l’ingénieur. Un concept lauréat du Comité Innovation Routes et Rues (CIRR) 2021 et adapté aux cours de récréation ou aux voiries pour les modes de transport doux par exemple.

« C’est une solution systémique d’îlot de fraîcheur associant un revêtement clair, une gestion intégrée de l’eau, et un substrat végétalisé »

– Julien Van Rompu, chef de projets recherche et innovation à Eiffage Route

Julien Van Rompu a introduit l’EcOasis de Belleville-en-Beaujolais comme modèle d’îlot de fraîcheur. Crédit photo : Laurie Bruno

Suite à un appel d’offres, le groupe Eiffage s’est vu attribuer un marché pour réhabiliter la rue de la Blanchisserie dans le centre de ce petit bourg du Beaujolais. Les actions menées dans la rue peuvent se résumer en quatre axes : gérer l’eau, végétaliser, rafraîchir, et favoriser les cheminements piétons. Concrètement, cela passe par la transformation des places de parking et des cheminements piétons avec un revêtement clair et perméable « BioKlair », une voirie de circulation en enrobé « Carbon Light », des places de stationnement en pavés enherbés, la conservation des fosses d’arbres existants et la création de nouvelles, plus grandes, et enfin des fosses d’infiltration pour l’eau de pluie sous les zones perméables.

Le projet s’est déroulé de septembre à novembre 2023, sur un linéaire de 150 mètres et pour la somme de 550 000 euros. « On observe une plus-value environnementale et esthétique assez certaine sur l’avant – après », se félicite le responsable du projet. Des mesures mobiles du confort thermique dans la rue de la Blanchisserie et la rue témoin adjacente sont en cours et se dérouleront jusqu’à septembre 2024. Une restitution commentée sera organisée en fin de suivi. « L’objectif est de quantifier le potentiel de rafraîchissement d’Eco-Oasis pour le déployer plus largement. » conclut-il.

Après la présentation de plusieurs cas concrets développés sous notre tropique, une dernière conférence interpelle. Abdelhameed Mohamed, directeur du pôle Ville intelligente de la société qatari Engineering Consultants Group (ECG), lance un message glaçant : « I’m coming from the future, so be ready » (Je viens du futur, alors soyez prêts), pointant du doigt les « 50 °C » écrits en immense sur sa présentation derrière lui. Un constat alarmant qui a rappelé l’objectif du symposium, à savoir éviter des étés à 50 °C à Lyon et ailleurs dans le monde. Espérons que la mise en commun des compétences de toutes les personnes expertes présentes ce mercredi contribueront à sauver nos villes.

« I’m coming from the future, so be ready » (Je viens du futur, alors soyez prêts)

– Abdelhameed Mohamed, directeur du pôle Ville intelligente pour Engineering Consultants Group

Pour aller plus loin :

[Humanitek] Des solutions innovantes au secours des villes

Crédit Image à la Une : Laurie Bruno