En 2022, la start-up lyonnaise OOrion s’est lancée un pari fou : transformer le quotidien des personnes déficientes visuelles grâce à une application mobile gratuite. Ses algorithmes d’intelligence artificielle permettent d’identifier, de retrouver et de localiser les objets et textes à partir de la seule caméra d’un smartphone. Deux ans plus tard, pari réussi : elle s’est envolée au CES de Las Vegas et repart avec deux prix de l’innovation dans ses valises. CScience a pu s’entretenir avec sa présidente et co-fondatrice Stéphanie Robieux alors qu’elle venait d’atterrir.
OOrion, c’est quoi exactement ?
OOrion, c’est une application mobile gratuite qui a pour objectif d’aider les personnes déficientes visuelles dans leur quotidien. Elle utilise des algorithmes basés sur l’intelligence artificielle dans le traitement d’image pour géo-localiser des objets dans un environnement donné, avec quatre grandes fonctionnalités.
D’abord, la recherche d’objets : pour trouver une prise dans une chambre d’hôtel par exemple, il suffit simplement de balayer l’environnement, et l’application nous guide précisément jusqu’au dernier mètre. Il y a aussi l’équivalent avec la recherche visuelle de texte, pour trouver une pharmacie dans la rue par exemple. Et ensuite, il y a les fonctionnalités inverses pour trouver un objet à proximité et activer une lecture instantanée sur une devanture.
Comment est née cette idée ?
J’en ai eu l’idée il y a quatre ans avec mon associé Thomas. On était étudiants à l’École Centrale Lyon et on a fait une rencontre spéciale : une dame aveugle nous a raconté qu’après avoir fait tomber un trousseau de clés dans son hall d’immeuble, elle avait perdu 20 minutes à le chercher. À l’époque, c’était les premières années où on pouvait coder de l’IA et l’embarquer dans un smartphone, et on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire !
« Une dame aveugle nous a raconté qu’après avoir fait tomber un trousseau de clés dans son hall d’immeuble, elle avait perdu 20 minutes à le chercher (…) on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire ! »
— Stéphanie Robieux, co-fondatrice et présidente d’OOrion
Et ensuite ?
En 2021, j’ai fait un tour de France des associations avec notre premier prototype, puis on a mis une première version sur le marché en janvier 2022. À ce moment-là, on a tenu à rester discrets car on ne voulait pas faire de « bad buzz ». On l’a donc améliorée de façon continue et, il y a un an, lorsqu’on a senti quelle était suffisamment mature et prête, on l’a diffusée en masse. On a fait une vingtaine de mises à jour depuis son lancement et aujourd’hui, on a une base fidèle dans une centaine de pays du monde. Pour l’instant, c’est beaucoup des pays francophones, mais OOrion est disponible en 32 langues.
D’ou vient le nom ?
Orion, c’est un géant de la mythologie grecque qui, rendu aveugle suite à un crime, réussit miraculeusement à recouvrer la vue en marchant vers le soleil. Cette symbolique nous plaisait. Puis, il y a aussi ce côté astral, avec la constellation d’Orion dans l’idée que l’application peut agir comme une étoile qui te guide. On a choisi d’ajouter un deuxième « O » pour représenter les deux yeux, et le nom Orion était déjà très utilisé.
Vous revenez tout juste du CES de Las Vegas. Trois mots pour décrire votre expérience ?
C’était challengeant sous tous les aspects. Cet événement nous a fait repousser nos limites et nous a mis dans des situations où il fallait agir vite et prendre des décisions instantanément. Au-delà de participer au salon, la préparation était aussi particulièrement intense.
Il y a bien sûr l’investissement. En termes d’argent, de temps, d’énergie, de mental, de tout en fait. C’était une sorte de pari pour nous et sur place, on essayait de rentabiliser un maximum. Et question timing, c’était le bon investissement pour nous. Il ne fallait pas que ce soit un an avant ou un an après, parce que ce qu’on ne sait pas, c’est que le CES c’est surtout pour les start-up qui ne sont pas encore matures.
Et je dirais unique, car c’est un salon absolument unique en son genre en termes de volume, d’enjeux et de rencontres. C’est une expérience à vivre, aussi sur le plan personnel.
Vous avez gagné deux “Innovation Awards” pour les catégories “Accessibility and Aging Tech” et “Product in support of Human Security”. Pourquoi avez-vous postulé ?
Pour la petite histoire, j’ai longuement hésité à participer au CES car c’est un énorme investissement de temps et d’argent. Le pôle de compétitivité Minalogic, qui nous a beaucoup aidé en amont avec des séances de préparation et des conseils judicieux, nous a dit que si on y va et qu’on n’est pas visible, ça ne servira à rien. Et un des seuls moyens pour être très visible, au milieu des 100 000 start-up regroupées au sein de l’Eureka Park, c’est d’avoir des Innovation Awards. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on doit payer 1 000 dollars pour déposer sa candidature et il vaut mieux le faire pour plusieurs catégories. Sous les conseils de Minalogic, on a déposé notre candidature dans deux catégories et… on a gagné dans ces deux catégories. Avant le départ, ça nous a conforté sur le fait qu’on est crédible, et sur place, on savait qu’on serait visible.
« On a déposé notre candidature dans deux catégories et… on a gagné dans ces deux catégories. Avant le départ, ça nous a conforté sur le fait qu’on est crédible, et sur place, on savait qu’on serait visible. »
– Stéphanie Robieux, co-fondatrice et présidente d’OOrion
Comment ont-ils servis sur place ?
Grâce à ces deux prix, on a commencé le CES par un événement presse. Il y avait un nombre de places limité et la région, qui en avait dix, donnait la priorité à ceux qui avaient obtenu des prix. Pendant cet événement, on a rencontré plein de journalistes et on est passé dans dix pays différents, dont l’Italie avec le média spécialiste de l’innovation Tech Princess qui nous a apporté 700 téléchargements en quelques jours ! On est aussi passé dans le magazine CES Daily qui est distribué à l’entrée.
Il y a eu beaucoup de visiteurs grâce au bouche-à-oreille, mais aussi des passages spontanés. Ces deux trophées sur notre stand attiraient du monde. Avant, on avait un doute quant à l’importance réelle de ces prix – ils sont attribués à environ 300 start-up sur les 100 000 chaque année – et, finalement, ça changeait tout ! Le CES, c’est tout un truc : il faut maximiser sa visibilité, attirer les bons regards et se démarquer.
Qu’est-ce que le CES vous a apporté et comment allez-vous exploiter cette expérience ?
Parmi les enjeux du CES, c’était la visibilité et l’international. La visibilité, car il y a un enjeu de protection pour nous : en tant qu’application, le seul moyen pour éviter qu’on nous pique notre idée est de s’imposer comme les premiers à le faire et d’être connu avant tout le monde.
Le salon nous a apporté de la notoriété auprès de grandes références dans le domaine. On s’est fait connaître auprès de gens qu’on aurait pas pu rencontrer autrement. Par exemple, il y a beaucoup de déficients visuels influents aux États-Unis qui agissent comme des référents de la tech au niveau national. Le CES nous a aussi permis d’être connu auprès de géants comme Google, Apple et Meta… Beaucoup rêvent d’intégrer OOrion dans les lunettes Ray-Ban par exemple.
Et paradoxalement, il y a aussi les grands noms français qu’on aurait eu du mal à atteindre si on était en France. Je crois que tu parles plus facilement aux acteurs importants de ton pays quand tu es loin. On a pu échanger avec le PDG d’Atol par exemple de façon très décontractée, car on était au CES et qu’on vivait cet événement hors du commun ensemble. Il a même fait un post sur nous !
« Les enjeux du CES, c’était la visibilité et l’international. La visibilité, car il y a un enjeu de protection pour nous : en tant qu’application, le seul moyen pour éviter qu’on nous pique notre idée est de s’imposer comme les premiers à le faire et d’être connu avant tout le monde. »
– Stéphanie Robieux, co-fondatrice et présidente d’OOrion
Est-ce qu’il y a eu un temps fort pour OOrion au CES ?
Oui ! On a dévoilé une cinquième fonctionnalité dont on est très fiers pendant le salon. Elle repose sur le « few-shot learning », une méthode d’apprentissage automatique sortie très récemment des laboratoires de recherche, où un modèle est entraîné à classer des objets en fonction de leur similarité à partir de très peu de données. C’était un sacré challenge et Thomas a réussi à le développer ! Il s’agit d’une innovation de rupture au sein même des innovations basées sur l’IA. Cette fonctionnalité s’appelle « objet personnels », et elle permet de retrouver un objet personnel bien précis dans l’environnement, ce qui va démultiplier le nombre de cas d’usages.
Au CES, vous avez présenté OOrion à la vice-présidente de la région déléguée à l’économie, à la relocalisation, à la préférence régionale et numérique, Stéphanie Pernod. Êtes-vous fiers d’être une entreprise de la Région Auvergne-Rhône-Alpes ?
Oui, on en est très fiers, on ne s’en est jamais cachés. La région s’investit à la fois dans les start-up et le domaine du handicap, donc nous, on trouve qu’il fait bon se développer ici (rires). En plus, la grande cause régionale 2023, c’était les déficiences visuelles. Il y a un an, on a rencontré Sandrine Chaix, vice-présidente de la région déléguée à l’action sociale et au handicap. Elle nous a poussé à participer à Innover pour compenser le handicap et on y a gagné une subvention.
De manière générale, c’est une région qui met beaucoup d’énergie à aider les start-up. La délégation de 80 entreprises AURA au CES en est la preuve, tout comme sa superbe soirée organisée en haut de la stratosphère ! Mon associé Thomas vit à Paris lui, et c’est bien parce qu’on travaille beaucoup avec des associations et, souvent, leur siège se trouve à la capitale. Mais nos employés sont lyonnais, et on travaille aussi avec des associations locales, comme par exemple le centre Odette Witkowska à Sainte-Foy-lès-Lyon, un site dédié à la déficience visuelle. Ils nous aident à co-construire l’application.
« C’est une région qui met beaucoup d’énergie à aider les start-up. La délégation de 80 entreprises AURA au CES en est la preuve, tout comme sa superbe soirée organisée en haut de la stratosphère ! »
– Stéphanie Robieux, co-fondatrice et présidente d’OOrion
Et pourquoi le H7 en particulier?
Le H7, on savait que c’était le lieu de référence en termes de technologie et d’impact à Lyon. C’est un peu l’équivalent lyonnais de Station F ! Pour nous, c’est le but ultime en termes d’écosystème sur Lyon. On savait qu’il nous ouvrirait pas mal de portes à l’échelle régionale et nationale, et on y est très heureux. C’est un lieu vivant.
Une région comme celle-ci a t-elle des atouts dans votre secteur ?
Oui, elle est porteuse, selon moi, en termes d’action sociale et d’inclusion. Après, il y a beaucoup d’interlocuteurs à Paris. Je peux citer notre partenariat avec Carrefour qui, dans le cadre de son défi inclusion, a ouvert son premier magasin handi-accessible en présence du PDG Alexandre Bompard et de Brigitte Macron. La région est donc porteuse dans notre domaine, mais c’est important pour nous de ne pas nous y cloitrer et d’être vus plutôt comme une entreprise française. D’ailleurs, on est adhérents de France Digitale, on fait partie de la French Tech, on a plein d’autres casquettes. Dans notre notre conseil d’administration, il y a aussi ILLUIN Technology, une scale-up parisienne experte en IA.
Au H7, les voeux de « Bonne et Divine année 2024 » de France Digitale
Quels sont les enjeux actuels dans le secteur de la santé ?
Au CES, le mot que tout le monde avait à la bouche, c’était l’IA. Le domaine est porteur, et nous, il se trouve que ça fait trois ans qu’on surfe sur cette vague ! En revanche, l’intelligence artificielle implique un véritable enjeu sur la protection des données. La version GPT 4 va être omniprésente et, en ce moment, tout le monde essaie de l’inclure dans sa solution. Mais elle va récolter de la donnée de partout, et ce qu’on a vraiment compris au CES, c’est qu’on se démarque car notre solution fonctionne sans internet. Ce sont des données sensibles, intimes, qu’on ne veut pas partager, et il était crucial pour nous de ne pas récolter de la donnée. L’enjeu dans notre domaine sera donc de surfer sur la vague IA tout en anticipant ces thématiques.
« L’intelligence artificielle implique un véritable enjeu sur la protection des données (…) ce qu’on a vraiment compris au CES, c’est qu’on se démarque car notre solution fonctionne sans internet. Ce sont des données sensibles, intimes, qu’on ne veut pas partager, et il était crucial pour nous de ne pas récolter de la donnée. »
– Stéphanie Robieux, co-fondatrice et présidente d’OOrion
Quelle est la suite pour OOrion ?
Déjà, redescendre du CES (rires). Non, plus sérieusement, se concentrer sur cette nouvelle fonctionnalité. Grâce à ça, les lieux vont pouvoir virtuellement baliser leurs espaces de façon très simple pour se rendre toujours plus accessibles. Nous, on n’a pas besoin de hardware contrairement à d’autres solutions, donc ça peut être très scalable (évolutif). On va bien sûr poursuivre avec Carrefour et commencer les collaborations avec d’autres lieux. Le gros enjeu cette année est aussi international. On a démarré fort avec le CES, et les retombées agiront sur plusieurs mois ! Au 1er janvier, on était à 5000 téléchargements, et on s’est fixé l’objectif de 10 000 sur l’année.
Mais vous allez l’atteindre plus vite que prévu !
On verra ! Même si on a obtenu 1 000 téléchargements en 24 jours, l’objectif reste raisonnable. Et puis, on n’a pas prévu dépenser de nouveau cette année pour un événement de cette ampleur, mais on a déjà les grands rendez-vous de 2025 en tête.
En revanche, il y a un vrai sujet sur les JO 2024. Carrefour va être un acteur des Jeux donc on sait déjà qu’on y participera indirectement, mais on aimerait avoir un rôle réel dans l’accessibilité. Ce serait un vrai petit coup d’accélérateur, et on échange déjà avec des acteurs publics et privés, dans l’hôtellerie notamment.
« il y a un vrai sujet sur les JO 2024 (…) on échange déjà avec des acteurs publics et privés, dans l’hôtellerie notamment. »
– Stéphanie Robieux, co-fondatrice et présidente d’OOrion
Quel est le but ultime d’OOrion ?
La solution est payante que pour les grands lieux car on leur vend un outil de mise en accessibilité. À long terme, on espère vraiment que, notre outil étant scalable, les gens n’auront plus d’excuse pour se rendre accessibles. Le but ultime, c’est de créer un label OOrion, pour un monde plus handi-accessible !
Crédit Image à la Une : OOrion