[ENTREVUE | Stéphanie Heritier da Cunha] : «L’industrie de demain sera circulaire ou ne sera pas»

[ENTREVUE | Stéphanie Heritier da Cunha] : «L’industrie de demain sera circulaire ou ne sera pas»

Stéphanie Heritier da Cunha est déléguée générale du Collectif Startups Industrielles France. Créée en 2021, l’association vise à représenter les jeunes pousses industrielles françaises et à encourager la transition de l’industrie vers une économie circulaire. Quelques semaines après Global Industrie, rendez-vous phare de la filière, la déléguée générale revient sur la place de l’innovation dans le monde industriel, et son virage vers l’économie verte.

Quelle est la mission du Collectif Startups Industrielles (CSI) ?

Notre mission comporte deux grands axes. Le premier consiste à créer les conditions favorables à la mise en place d’un écosystème d’amorçage industriel en France, et le second à intégrer une logique circulaire dans l’industrie. Au CSI, nous sommes convaincus que l’industrie de demain sera circulaire ou ne sera pas, et qu’il faut porter la voix des start-up industrielles, encore peu entendue ou incomprise. Trois ans après notre lancement, le collectif regroupe 7 000 acteurs publics et privés engagés, dont une centaine de start-up, pour la plupart en phase d’amorçage industriel. C’est une communauté active, qui nous rend visibles, mais l’enjeu aujourd’hui c’est d’être encore plus nombreux pour représenter plus de start-up.

« Au CSI, nous sommes convaincus que l’industrie de demain sera circulaire ou ne sera pas, et qu’il faut porter la voix des start-up industrielles, encore peu entendue ou incomprise. »

Pourquoi cibler spécifiquement les start-up industrielles ?

Les start-up industrielles ont des particularités qui les différencient du modèle de start-up plus « classique ». Elles vont avoir des problématiques de financement, car il faut mobiliser beaucoup de fonds, et être confrontées à des enjeux de foncier, car les moyens de production sont plus conséquents, à des questions d’emplois, car elles ont des besoins de compétences diverses et souvent coûteuses – ingénierie, pilotage de machine – tout en maîtrisant des aptitudes liées à l’entrepreneuriat. C’est de ce constat-là qu’est né le CSI en mars 2021, à l’initiative d’Eléonore Blondeau, qui avait dû faire face à tous ces obstacles avec sa start-up industrielle CleanCup. En trois ans, le CSI a réussi à se frayer une place dans l’écosystème de l’innovation français. Le terme même de start-up industrielle est plus utilisé et reconnu en France aujourd’hui.

La Tannerie Végétale a créé un cuir 100% végétal et bio-sourcé. Crédit photo : La Tannerie Végétale

Des exemples de start-up membres du CSI à succès ?

Pour n’en citer que quelques-unes, je pense à Mob-ion qui répond entièrement aux critères d’économie circulaire basés sur la « pérennité programmée ». Cette start-up a mis au point un scooter électrique avec des composants éco-conçus pour durer très longtemps. Son tarif est très accessible, favorisant l’inclusion et la mobilité. On retrouve aussi Black Star, dans la Loire, qui produit des pneus reconditionnés localement, ou encore La Tannerie Végétale basée à Villeurbanne, qui propose un cuir à base de matériaux biosourcés entièrement végétaux, incluant des enjeux de DeepTech.

La Région Auvergne-Rhône-Alpes est pionnière en France en matière d’industrie. Quelle est votre vision de l’industrie sur notre territoire, et particulièrement de l’industrie « verte » ?

Ma vision personnelle dépasse mon expérience au CSI. Je connais bien l’histoire industrielle de notre région, car j’ai piloté au début des années 2000 le réseau TISTRA – Tourisme Industriel Scientifique et Technique Rhône-Alpes – dont la cause était d’assurer l’ouverture au public des industriels. Plus tard, j’ai été responsable de l’innovation au sein d’Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme. J’ai toujours pensé qu’en plus de regorger de friches industrielles variées, notre région est une terre d’entrepreneurs visionnaires : les Frères Montgolfier, Jacquard pour le métier à tisser mécanique, sans oublier les grands chimistes de notre territoire. C’est pourquoi la tendance à la réindustralisation, amorcée depuis déjà quelques années, est une grande opportunité pour faire fleurir à nouveau l’excellence industrielle de notre région. Et d’autant plus si on passe par la circularité. D’ailleurs, le baromètre recense 320 start-up industrielles en AURA, dont 120 dans le Rhône. Le principal secteur d’activité des start-up industrielles de notre région est la GreenTech, suivi par la DeepTech et l’industrie 4.0. La circularité semble de mise, donc, dans notre région.

« la tendance à la réindustralisation, amorcée depuis déjà quelques années, est une grande opportunité pour faire fleurir à nouveau l’excellence industrielle de notre région. Et d’autant plus si on passe par la circularité. »

Que représente le salon Global Industrie pour le CSI ?

Global Industrie est un grand événement pour nous, même si le CSI est tout petit au sein de l’écosystème ! (rires) Nous avions un programme d’animation du village start-up où l’on a pu organiser six tables rondes sur les quatre journées. Nous avons pu balayer toutes les grandes thématiques, de la vision de l’industrie par les jeunes aux problématiques de financement, en passant par le foncier.

Quelle place occupait l’industrie verte ?

J’ai observé beaucoup d’échanges autour de la circularité, au-delà de nos actions, notamment sur la grande scène du salon avec Christian Bruere de notre start-up adhérente Mob-ion. Il y avait aussi Sonia Artinian-Fredou qui a présenté FIND Climate, un tiers-lieu dédié au start-up industrielles GreenTech à Nanterre, dont elle est la fondatrice. Mais je reconnais que dès qu’on va voir les stands des grands groupes, ce sujet reste peu présent. On le voyait dans la coloration des tables rondes et dans nos start-up industrielles – même si beaucoup étaient à Change Now, le rendez-vous des solutions durables qui avait lieu en même temps. Pourquoi ne pas fusionner ces deux événements ?

Le Collectif Startups Industrielles a lancé son baromètre des startups industriel au salon Global Industrie 2024. Crédit photo : CSI

Qu’est-ce que le baromètre industriel, tout juste lancé par votre collectif ?

On a profité du salon Global Industrie pour dévoiler notre baromètre des start-up industrielles. En quelques mots, cette étude statistique permet de montrer l’apport des jeunes entreprises industrielles innovantes à la réindustrialisation des territoires et aux enjeux de la transition et de la décarbonation. Au-delà des analyses statistiques, on met à disposition de tout le monde sur notre site l’annuaire complet des 1 720 start-up industrielles identifiées. On travaille sur la base d’une solution d’IA avec un partenaire reconnu, MotherBase, basé à Annecy, avec l’appui de l’Université de Clermont-Ferrand et le soutien de la DREETS [Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités] Auvergne Rhône-Alpes. Notre baromètre utilise une intelligence artificielle pour détecter et recenser parmi les 18 500 startups de la base, celles qui interagissent sur les réseaux sociaux avec 2 200 « catalyseurs d’innovation » – qui regroupent les incubateurs, accélérateurs, fonds d’investissement, grandes organisations publiques et privées, collectivités, médias de l’innovation, etc. Sur la méthode, on a d’abord entraîné l’IA en identifiant à la main 800 startups. Cet ensemble à servi a entraîner les classificateurs de « machine learning », qui ont identifié plus de 1 720 startups industrielles en France.

Justement, comment les start-up industrielles peuvent répondre aux enjeux environnementaux et sociaux aujourd’hui ?

Parmi les différents secteurs des start-up industrielles, c’est la GreenTech qui revient le plus. Nous, on aime à communiquer que ces 1 720 start-up peuvent être les 1 720 solutions de demain (rires). En apportant des solutions respectueuses de l’environnement, ces start-up industrielles contribuent à créer une industrie de demain plus circulaire. On observe aussi que beaucoup d’ingénieurs se rendent compte que ce n’est pas facile de renverser le modèle d’affaires des groupes industriels pour les orienter sur des sujets relatifs à la transition. Ils quittent leurs emplois confortables au sein de ces grandes entreprises pour créer des produits plus adaptés à une logique d’industrie circulaire.

« Parmi les différents secteurs des start-up industrielles, c’est la GreenTech qui revient le plus. […] En apportant des solutions respectueuses de l’environnement, ces start-up industrielles contribuent à créer une industrie de demain plus circulaire. »

Pensez-vous que les grands groupes industriels sont prêts à prendre le tournant de l’économie circulaire ?

Je crois, oui. Mon poste de directrice générale adjointe au sein de La Ruche Industrielle, avant de rejoindre le CSI en janvier dernier, m’a rassurée sur le fait qu’il existe des grands groupes engagés. Bosch, SEB, la SNCF, DigiTech, Haulotte… Ils faisaient partie des piliers de cet organisme tourné vers la circularité et l’industrie verte, au même titre que les start-up. On voit aussi de plus en plus d’industriels qui intègrent une logique de circularité très forte comme Renault Trucks. Beaucoup sont intéressés par les start-up industrielles, car on le sait, l’innovation vient souvent de l’extérieur. Donc je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’industriels réfractaires, mais la question c’est peuvent-ils vraiment ?

Lorsque vous dites « l’industrie de demain sera verte ou ne sera pas », qu’est-ce que cela implique ?

Je m’appuie beaucoup sur le manuel de Grégory Richa et d’Emmanuelle Ledoux intitulé Pivoter vers une industrie circulaire. Il émet l’idée que le modèle du pivot vient des start-up et que l’industrie doit réaliser ce changement de direction dans leur modèle économique. Certains pionniers l’ont fait, je pense par exemple au groupe SEB avec sa gamme d’appareils réutilisables, ou Circouleur avec de la peinture recyclée. Et puis on observe aujourd’hui un enjeu de souveraineté et d’indépendance, avec la relocalisation de certains médicaments produits à l’autre bout du monde, une pression d’un point de vue réglementaire, mais aussi une notion d’urgence avec la raréfaction des matières premières. Tous ces aspects obligent les industriels à travailler avec des matériaux réutilisables. L’opinion publique pousse également en ce sens. Si on prend uniquement l’exemple de la « fast fashion » (mode éphémère), les industriels qui ne réalisent pas ce mouvement de pivot vont selon moi disparaître.

« Et puis on observe aujourd’hui un enjeu de souveraineté et d’indépendance, avec la relocalisation de certains médicaments produits à l’autre bout du monde, une pression d’un point de vue réglementaire, mais aussi une notion d’urgence avec la raréfaction des matières premières. Tous ces aspects obligent les industriels à travailler avec des matériaux réutilisables. L’opinion publique pousse également en ce sens. »

Les industriels ont-ils pris la mesure de l’urgence ?

Je dirais que oui, même si je n’en croise pas assez. Je trouve qu’on va dans le bon sens, car même si ces tendances ne sont pas suivies par tout le monde, il faudra prendre le virage de la circularité à un moment donné. Selon moi, le problème est systémique : il faut entièrement repenser notre vision de l’industrie, pour impliquer les grands groupes de la filière. D’ailleurs, la France se positionne parmi les derniers pays en termes de part de PIB dans l’industrie au sein de l’Union européenne [16,8 % pour la France contre 23 % de moyenne globale dans l’UE selon la Banque mondiale en 2021]. Il y a encore du chemin à faire, mais je sais que le CSI contribue à ouvrir la voie… en portant la voix des solutions de demain !

Pour aller plus loin :

Global Industrie : « La French Fab incarne une industrie durable, responsable et engagée »

 

Crédit Image à la Une : Stéphanie da Cunha