Le renouvellement de la Feuille de route de la coopération bilatérale entre Auvergne-Rhône-Alpes et le Québec pour 2023-2028, signé le 9 octobre dernier à Lyon lors des EJC, fait la part belle aux ambitions collectives en matière de transition énergétique. Mais des enjeux et des choix propres à chaque territoire pourraient faire dérailler cette stratégie commune dès cette année.
Pleine de promesses. Ils l’ont dit et l’ont affirmé haut et fort lors des derniers Entretiens Jacques Cartier (EJC), à Lyon, en octobre dernier : la coopération bilatérale entre le Québec et la région Auvergne Rhône-Alpes (AURA) sera riche et fructueuse dans les quatre prochaines années pour les acteurs du développement durable.
Dans un contexte qui faisait la part belle aux technologies et à l’innovation, en marge de l’événement phare Pollutec, incontournable salon des solutions pour l’environnement en France, les représentants des deux territoires présents aux EJC étaient manifestement portés par l’enthousiasme collectif et la volonté de passer à la vitesse supérieure en matière d’économie d’énergie et de décarbonation industrielle.
Une feuille de route ambitieuse
Il faut dire que l’histoire de la coopération bilatérale entre le Québec et la région AURA, qui irrigue des projets et des initiatives culturelles, académiques et économiques depuis près de 50 ans, n’a pas l’habitude de faire les choses à moitié.
On n’est pas le plus ancien partenariat entre une région française et le Québec pour rien. Et cela suscite forcément des attentes.
« L’hydrogène vert, la bioéconomie, les matériaux durables, les biotechnologies et les technologies environnementales figurent en bonne place des activités à promouvoir »
En matière de développement économique, d’innovation et de transition énergétique et numérique, la nouvelle feuille de route 2023-2028 souhaitait donc marquer à l’encre rouge le soutien qu’elle envisage d’apporter au développement de solutions technologiques et d’initiatives de recherche visant la protection de l’environnement et les changements climatiques.
L’hydrogène vert, la bioéconomie, les matériaux durables, les biotechnologies et les technologies environnementales figurent en bonne place des activités à promouvoir, à travers notamment des programmes et des financements européens ouverts au Québec pour les universitaires et scientifiques.
Des ambitions communes
Le Québec et la région AURA ne manquent pas d’atouts pour atteindre cette ambition collective commune. Leur politique respective d’animation des territoires locaux autour de ces enjeux en est un exemple.
Qu’il s’agisse de la zone d’innovation sur la transition énergétique, autrement appelée Vallée de la transition énergétique, au Québec, ou bien du pôle de compétitivité Tennerdis, en AURA, la politique de développement durable passera par ces regroupements territoriaux transversaux qui sont censés créer un maillage dynamique entre le monde de la recherche et le monde industriel.
On y privilégie notamment des deux côtés de l’Atlantique le déploiement de la filière batterie, l’électrification des transports, et l’utilisation de l’hydrogène vert dans la chaîne industrielle.
« (…) si l’on connaît les immenses ressources du Québec pour ce qui a trait à la production hydroélectrique, on sait sans doute un peu moins que la région AURA est l’une des premières régions productrices d’énergie électrique en France (…) »
Le Québec et AURA partagent ainsi la même ambition pour orienter la production et la consommation d’énergie vers le tout-électrique, en particulier pour pallier les défis de décarbonation qui touchent le secteur des transports. Le verdissement de la flotte de véhicules et la réglementation de plus en plus contraignante sont devenus des mots d’ordre des deux côtés de l’Atlantique.
Quand en AURA, le Pacte vert vise 100% de véhicules neufs zéro émission vendus à partir de 2035, au Québec, la norme VZE (VZE pour véhicules zéro émission) affiche le même objectif avec peu ou prou les mêmes attributs réglementaires.
Car, et c’est sans doute ce qui constitue le principal point de rapprochement, si l’on connaît les immenses ressources du Québec pour ce qui a trait à la production hydroélectrique, on sait sans doute un peu moins que la région AURA est l’une des premières régions productrices d’énergie électrique en France et la première pour l’hydroélectricité : elle fournit un tiers de la production nationale, et l’hydro représente 87% du mix électrique renouvelable de la région. Un point de similarité qui place les deux territoires en position de force dans le mix énergétique de leurs pays respectifs.
Face à la réalité
Mais il n’en demeure pas moins que des différences de pratiques pourraient poser des problèmes à cette destinée commune. En particulier sur la stratégie de mise en oeuvre de la politique de décarbonation.
Si, au Québec, les industries sont mises à contribution pour atteindre la cible de réduction de 37,5% de GES d’ici 2030, ce sont surtout les municipalités qui sont appelées à porter l’effort. Alors même que les villes sont déjà largement mises à contribution en raison des effets du réchauffement climatique. Une tension qui pourrait crisper les plus nobles ambitions en la matière.
La région AURA, elle, projette de devenir la première région de France à atteindre la neutralité carbone avant 2050, en réhaussant dès le mois prochain, dans le sillage des objectifs fixés par l’Etat et l’Europe, ses ambitions régionales à 55% de réduction des émissions de GES d’ici 2030 par rapport à 2015. Mais en donnant le sentiment de devoir arrimer ses critères de réduction de GES à ceux déterminés à plus large échelle, la Région pourrait voir certains acteurs locaux contester le poids des mesures imposées d’aussi loin que Bruxelles. Les élections européennes au printemps prochain donneront le ton.
« (…) dans la stratégie de gestion des déchets, les deux territoires semblent donner l’impression d’être aux antipodes. »
De même, dans la stratégie de gestion des déchets, les deux territoires semblent donner l’impression d’être aux antipodes. Si AURA s’est donnée l’ambition de devenir à moyen terme la Région qui enfouit le moins ses déchets, avec l’objectif de porter le taux d’enfouissement à 10% en 2030, via la prévention, le maintien du taux de valorisation énergétique aux environs de 23% et à l’amélioration du taux de valorisation matière à hauteur de 70%, au Québec, c’est une tout autre réalité qui domine.
Avec l’équivalent d’une tonne de matière résiduelle à éliminer par Québécois chaque année, soit deux fois plus que la cible fixée par le Gouvernement du Québec pour 2023, d’ici la fin 2024, ce sont quatre lieux d’enfouissement technique (LET) sur 38 qui seront agrandis et deux autres qui seront créés. Une trajectoire diamétralement opposée à celle prise par les cousins français.
Enfin, et c’est sans doute à ce niveau que les efforts de coopération seront le plus mis à l’épreuve, le manque de main-d’oeuvre criant dans le secteur des technologies dites vertes pourrait donner lieu à une course aux talents qui ne manquera pas de susciter des frictions de part et d’autre de l’Atlantique.
De quoi obliger les autorités à mettre en œuvre des garde-fous pour éviter de devoir faire rimer à terme coopération avec compétition. Une situation qui risquerait de faire que la volonté commune de départ finisse par n’être plus motivée que par la seule énergie… du désespoir.
Crédit photo en Une : Juergen PM / Pixabay