Ce jeudi 23 mai, le tiers-lieu d’innovation lyonnais TUBÀ a accueilli son quatrième café « Datable » de l’année sur un thème bien précis : l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’analyse d’images. C’est Emmanuel Mancuso, consultant en informatique formé à l’école du Wagon, qui est venu présenter un cas d’usage issu de son passage par le campus de Lyon.
« Ces cafés Datable sont ouverts à toutes et tous et ont vocation à inspirer », a souligné Frédéric Lecoin, directeur de TUBÀ, en ouverture de l’événement. Pari réussi : Pendant près d’une heure, après le déjeuner, une vingtaine de personnes aux profils variés ont participé à ce café au format hybride.
Il y avait bien sûr des membres de la communauté TUBÀ, des alumni ou des personnes actuellement en formation au Wagon, ou tout simplement des intéressées par les thématiques soulevées lors de ce café, comme cette avocate spécialiste dans la protection de données.
L’école du Wagon et la communauté TUBÀ, des enjeux communs
Située en plein cœur du quartier de la Part-Dieu, cette structure associative de 850 mètres carrés se définit comme un « Tube à expérimentations urbaines ». Sa principale mission consiste à animer un écosystème des données et pour ce faire, elle a créé début 2023 les « Datable », un rendez-vous mensuel tout public pour parler de manière très concrète de sujets numériques et urbains sous l’angle des données.
L’événement au format d’une heure est disponible sur place, dans les locaux de TUBÀ, et à distance. Tous les mois, un membre de l’écosystème TUBA ou une structure partenaire vient présenter une innovation, ses leviers de succès et ses éventuels freins, inspirer les autres acteurs du territoire et participer ainsi à une logique « d’open innovation ».
Et ce jeudi 23 mai 2024, c’est le Wagon, une école reconnue pour son excellence dans la formation aux métiers de la tech, qui était à l’honneur. Avec 40 campus répartis sur cinq continents, le Wagon a formé 26 000 personnes depuis sa création en 2013 par Boris Paillard, Romain Paillard et Sébastien Saunier, trois Français cherchant à révolutionner l’enseignement de la tech. Le campus de Lyon, situé en bas des pentes du quartier de la Croix-Rousse, a ouvert ses portes en 2016.
Principalement connue pour ses programmes au long format dans le développement informatique, l’école propose depuis quelques années des parcours de formation spécifiquement dans la donnée, tel que le programme « Data Analytics et IA ». Romain Stanke, directeur du Wagon Lyon, a profité du café pour présenter son campus, mais également souligner les défis d’actualité propres à leurs deux structures, dont les approches sont complémentaires : « TUBÀ et le Wagon ont des enjeux communs, notamment sur la question des données ».
« TUBÀ et le Wagon ont des enjeux communs, notamment sur la question des données »
– Romain Stanke, directeur du Wagon Lyon
IA Trail, un cas d’usage dans l’utilisation de l’IA pour le traitement d’image
Pour la quatrième édition cette année des cafés Datable, l’invité phare était Emmanuel Mancuso, consultant en informatique. Il fait partie du « Data Science Batch #1416 » du Wagon de Lyon et il est venu présenter IA Trail, une plateforme née d’un projet de fin de formation qui permet de trier rapidement les photos prises pendant les compétitions de trail grâce à l’intelligence artificielle.
« IA Trail a été développée par cinq personnes en seulement huit jours de codage », explique Emmanuel Mancuso. Avec quatre de ses collègues de « batch », ils se sont inspirés d’une présentation de Robin Lespagnol, formateur au Wagon de Lyon. Ce dernier est le président d’une association de trail lyonnaise et il cherchait une solution pour traiter plus efficacement les quelque 2 000 à 3 000 photos de trailers prises par compétition. À l’époque, il lui faut une semaine entière pour trier ses photos, stockées sur Google Drive. Emmanuel Mancuso et ses quatre collègues de projet décident alors d’utiliser l’intelligence artificielle.
Techniquement, ils créent un « work-flow » avec une détection en deux étapes : l’intelligence artificielle reconnaît d’abord l’humain – le visage de la personne en train de courir – puis le numéro de dossard. La technologie créée ensuite un portfolio par participant. À l’issue des huit jours de développement de projet, les résultats sont plutôt satisfaisants : sur les images avec un seul coureur, le score de réussite s’élève à 70 % – et 49 % lorsqu’il y a plusieurs coureurs. La charge de travail est allégée, avec des photos disponibles à J+1, contre une semaine sans la plateforme. « On a utilisé des modèles pré-entraînés de DETR [Detection Transformer] spécialisés sur l’image, notamment “Face Recognition”, disponibles en “open source” [accessibles librement] » précise Emmanuel Mancuso durant sa présentation.
« IA Trail a été développée par cinq personnes en seulement huit jours de codage »
– Emmanuel Mancuso, consultant en informatique et co-créateur de la plateforme IA Trail
Suite à la démonstration de leur projet en fin de formation au Wagon, Emmanuel Mancuso décide de reprendre le projet. Il crée en quelques mois une deuxième version améliorée d’IA Trail, intégrant la détection faciale. Cette fois, la plateforme réalise de meilleures prédictions. Elle parvient à reconnaitre des coureurs même lorsque le dossard n’est pas entièrement visible, la vitesse d’exécution s’améliore, le site est plus esthétique et les photos sont envoyées directement par courriel à chaque participant. C’est avec cette version qu’Emmanuel Mancuso réalise une démonstration à TUBÀ, prenant pour exemple La Neyrolande Trail à laquelle il a participé. Il se positionne devant sa webcam, qui scanne son visage, et en une minute, la plateforme retrouve toutes les photos où il apparaît.
Quid de la protection des données
À l’issue de sa présentation, plusieurs remarques pertinentes sont soulevées durant le temps d’échange. C’est l’objectif du café Datable : présenter un cas d’usage pour échanger sur d’autres applications possibles. À ce titre, Frédéric Lecoin, directeur de TUBÀ, évoque notamment l’utilisation de cette technologie par certains médias, pour trier les nombreuses photos prises pendant un événement.
Autour de la table, un participant relève un point important : qu’en est-il de la protection des données ? Emmanuel Mancuso précise que les photos ne sont pas sauvegardées, et que les visages sont transformés en « tenseur », une sorte d’encodage d’un visage.
Le consultant en informatique précise également qu’une troisième option est disponible pour les coureurs ne souhaitant pas être scanné par la caméra : il peuvent choisir de donner uniquement leur numéro de dossard. De plus, sur IA Trail, seules les personnes inscrites sur la plateforme peuvent accéder aux images stockées. D’ailleurs, les participants aux événements sportifs signent souvent au moment de leur inscription une autorisation de les prendre en photo.
Malgré cette sécurité, Emmanuel Mancuso constate qu’il reste difficile de protéger ces données. Un collègue de promotion d’Emmanuel Mancuso prend la parole et propose trois solutions pour renforcer la protection des données : la création de garde-fous, avec une clé unique propre à chaque participant, une limite du nombre d’usagers par heure afin de contrer les logiciels qui ratissent le web pour trouver des images, ou plus radicalement la mise en place d’un système de monétisation pour accéder aux photos.
Interrogé sur la suite pour sa plateforme IA Trail, Emmanuel Mancuso reste prudent. Il soulève la question du stockage de données, qui représente un coût à la fois énergétique et financier, ne pouvant être assumé par l’association à but non lucratif présidée par Robin Lespagnol. Néanmoins, une fois améliorée, la plateforme sera testée sur le trail prévu en octobre prochain.
Quant au marché de la reconnaissance faciale dans les compétitions sportives, Emmanuel Mancuso semble avoir la voie libre, du moins localement. Une participante confirme que la reconnaissance faciale n’est pas utilisée sur la « Run in Lyon », rendez-vous annuel des coureurs lyonnais. Pour des raisons de petite taille, elle a couru avec son dossard accroché sur son dos, et a eu très peu de photos à l’issue de sa course. Un autre participant du café Datable va dans son sens en témoignant d’une expérience similaire lors de sa participation à la « Montée du Mont Thou », un trail dans les monts d’Or. Un bon signe pour la plateforme IA Trail qui semble, pour l’instant, avoir toute la place pour se développer dans un pays qui affiche des ambitions fortes pour devenir moteur en matière d’IA.
Pour aller plus loin :
AILyS : un projet lyonnais pour rendre l’IA frugale et accessible
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