La semaine aura été marquée par les grandes réflexions que mènent activement les nations, incluant le Québec, quant à l’encadrement éthique et sécuritaire des technologies de l’intelligence artificielle. Ces discussions en présence d’élites de la science et de la politique de partout dans le monde, entourant les répercussions d’une évolution trop rapide et non contrôlée de l’IA, visent l’élaboration de cadres normatifs concrets pour y faire face.
Le Royaume-Uni organisait le premier sommet mondial sur les risques de l’intelligence artificielle, mercredi et jeudi, afin de discuter des enjeux de sécurité propres à l’essor sans précédent de cette technologie. Pendant ce temps, au Québec, un important forum public a mobilisé pas moins de 300 intéressés en présentiel et 1 200 à distance, toute la journée du 2 novembre, à l’initiative du Conseil de l’innovation du Québec (CIQ), afin de de nourrir la réflexion collective quant à l’encadrement d’une intelligence artificielle responsable. Le CIQ émettra les recommandations préliminaires qui auront émané de ces consultations d’ici la fin de l’année.
« On parle d’une trentaine de chefs de nations qui se réunissent aujourd’hui au Royaume-Uni pour parler de cette question. Le roi Charles III a fait une déclaration sur l’IA, les Nations Unies et le président des États-Unis, cette semaine, en ont fait pour parler de faire attention à l’IA, tout en en conservant les avantages. »
– Luc Sirois, Innovateur en chef du Québec
« L’intelligence artificielle occupe une place de plus en plus importante dans notre croissance économique et scientifique. L’IA est appelée à être intégrée dans une panoplie de secteurs. Il faut bien la connaître, et bien l’encadrer. Au Québec, on a la chance de compter sur un écosystème regroupant plusieurs experts, qui font rayonner notre expertise dans ce domaine. L’IA peut nous aider à relever de grands défis sociaux, comme la hausse de productivité ou l’amélioration des soins de santé et de l’éducation. Comme gouvernement, on veut que les entreprises du Québec accélèrent leur adoption de l’IA et l’utilisent, pour que le Québec soit plus productif et compétitif, et on veut, en parallèle, que le déploiement de l’IA soit balisé de façon très claire. Il faut que ce soit de manière éthique et responsable », a souligné le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, à l’ouverture du forum.
Une « onde de choc » pour élément déclencheur
Il y a sept mois, le Future of Life Institute (FLI) demandait un moratoire de six mois pour freiner les avancées de l’IA, au travers d’une pétition signée par Yoshua Bengio (fondateur et directeur scientifique de l’Institut québécois d’intelligence artificiel, le Mila) et d’autres sommités. Cette lettre ayant expiré, le FLI a publié une nouvelle déclaration, co-signée entre autres par M. Bengio, dans laquelle ils somment les dirigeants de réglementer le domaine de l’IA, et demandent aux entreprises qui développent des modèles d’IA de se poser des questions comme « Est-ce que les systèmes que vous développez pourraient détruire la civilisation ou la faire dominer par l’IA? » et « Est-ce que vous comprenez vos systèmes d’IA et comment ils prennent leurs décisions? ». Ces questions, qui peuvent sembler, sont pourtant loin d’être dérisoires, lorsque 80 % des Américains n’ont pas confiance en les industries pour s’auto-réguler, comme le souligne le directeur exécutif du FLI, Anthony Aguirre, et que 56 % des Canadiens ne font pas confiance à l’IA, selon les chiffres de Scale AI, mais que l’adoption de l’IA demeure plus que jamais une priorité pour 69% des entreprises dans le monde, tel que le rapporte l’entreprise Rackspace Technology.
La démarche d’encadrement entamée au Québec et au Canada
Au cours du forum du 2 novembre, l’Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, a rappelé l’onde de choc créée par le FLI, et la phase historique que connaît le secteur de l’IA à l’échelle mondiale. « On parle d’une trentaine de chefs de nations qui se réunissent aujourd’hui au Royaume-Uni pour parler de cette question. Le roi Charles III a fait une déclaration sur l’IA, les Nations Unies et le président des États-Unis, cette semaine, en ont fait pour parler de faire attention à l’IA, tout en en conservant les avantages », a énuméré M. Sirois, insistant à la fois sur le fait que l’IA entraîne des risques et mais aussi des retombées positives en lien avec « les questions de l’emploi, de la démocratie et de la culture ». C’est d’ailleurs pour donner suite aux préoccupations de l’écosystème immédiat, mais aussi de la population directement touchée par la démocratisation d’outils comme ChatGPT que le Canada vient d’ailleurs de se doter d’un code volontaire élaborant six principes fondamentaux pour mieux encadrer l’IA.
68,4 % des experts et citoyens consultés par le CIQ entrevoient positivement l’impact de l’intelligence artificielle d’ici cinq ans
Malgré les inquiétudes engendrées, l’Innovateur en chef a tout de même mentionné que les résultats des sondages réalisés auprès de plus de 200 experts, incluant des spécialistes de l’IA et de la gouvernance, des citoyens et travailleurs, et des conseillers d’affaires privés et fonctionnaires, consultés au travers du processus, une grande majorité d’entre eux (68,4 %) entrevoyaient positivement l’impact de l’intelligence artificielle d’ici cinq ans.
6 principes fondamentaux pour encadrer l’IA : le Canada fait « un premier pas »
« J’ai moi-même été surpris et inquiet, comme beaucoup d’autres, par les avancées réalisées par des systèmes comme ChatGPT (…) Ces derniers mois, a entamé Yoshua Bengio, dans une vidéo diffusée en différé au cours de l’événement. J’ai travaillé à sensibiliser les décideurs publics de partout dans le monde à l’importance de mettre rapidement en œuvre des normes nationales et internationales pour encadrer le développement de l’utilisation de l’IA. Il est nécessaire que le gouvernement investisse dans la sécurité et la gouvernance de cette technologie », a relaté le scientifique, qui ne pouvait être physiquement présent au forum, puisqu’il était retenu au Royaume-Uni pour le Sommet. Il estime que la démarche du gouvernement du Québec témoigne d’une « volonté de reprendre le contrôle de l’IA dans notre société (…) Le succès de l’intelligence artificielle ne repose pas uniquement sur les connaissances techniques. Pour s’assurer que l’IA soit déployée au bénéfice des citoyens, des travailleurs et de notre démocratie, nous devons acquérir une compréhension approfondie des impacts sociaux de l’IA. »
À l’international
Au sommet mondial organisé autour de cette question, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a réclamé, le jeudi 2 novembre, une réponse « unie, durable et globale », jugeant que « les principes de gouvernance de l’IA devraient être fondés sur la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits humains ».
Le sommet s’est tenu notamment en présence de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, de la vice-présidente américaine Kamala Harris, et de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, puis d’une centaine d’experts, ministres et chefs d’entreprises, au centre de décryptage des codes de la Seconde Guerre mondiale.
Deux sommets internationaux suivront, dont un dans six moins en format virtuel en Corée du Sud, et un autre dans un an en à Paris, en présentiel.
Crédit Image à la Une : Yoshua Bengio et Luc Sirois lors du Forum public sur l’encadrement de l’intelligence artificielle au Québec
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