FemTech : l’innovation enfin au service de la santé des femmes

FemTech : l’innovation enfin au service de la santé des femmes

Si la santé des femmes a longtemps été sous-étudiée, peu financée et mal desservie, il semblerait que le monde s’y intéresse enfin… grâce à l’innovation. Les technologies numériques de la FemTech ont explosé ces dernières années et le marché devrait peser 1 000 milliards de dollars en 2030. Dans un entretien avec Rachel Bartholomew, fondatrice de FemTech Canada, et Adèle Bouscasse, membre de FemTech France, CScience s’est intéressé aux innovations dans ce domaine des deux côtés de l’Atlantique.

Jessica Boothe, directrice de la recherche marketing du CTA – la Consumer Technology Association qui organise le CES – a récemment déclaré à la presse que « l’industrie de la santé numérique pour les femmes devrait représenter 1,2 trillion de dollars d’ici 2027 ». Un chiffre spectaculaire pour un marché qui devrait croître de près de 10% par an jusqu’en 2030 au niveau mondial, d’après le dernier Global FemTech Industry Research Report.

« L’industrie de la santé numérique pour les femmes devrait représenter 1,2 trillion de dollars d’ici 2027 »

— Jessica Boothe, directrice de la recherche marketing du CTA

Mais de quoi parle-t-on exactement ? La FemTech – pour Female Technology en anglais – désigne l’ensemble des technologies, produits et service innovants dédiés à la santé des femmes. Souvent connue dans les secteurs de la contraception et la santé reproductive, elle s’intéresse aussi à la sexualité, au pré et post-ménopause, à la santé pelvienne ou encore aux pathologies chroniques telles que l’endométriose. Pour mieux se connaitre, se soutenir et rayonner, plusieurs start-up de la filière se sont réunies au niveau national sous des collectifs FemTech.

Rachel Bartholomew est la fondatrice de FemTech Canada. Crédit photo : Rachel Bartholomew

FemTech Canada : « Est-ce qu’il y a d’autres personnes ici ? »

Rachel Bartholomew évolue depuis quinze ans dans l’écosystème de l’innovation canadien. Après avoir côtoyé toutes sortes de métiers au sein de laboratoires d’innovation, d’universités, de fonds d’investissement – et fondé deux start-up au passage – elle a lancé Femtech Canada en 2021.

« Est-ce qu’il y a d’autres personnes ici ? », se demande-t-elle alors au milieu de sa première année de recherche pour sa propre start-up FemTech. Rachel Bartholomew est en train d’imaginer Hyivi, une solution connectée pour améliorer la santé pelvienne. Après son cancer du col de l’utérus, elle réalise que le traitement post-maladie n’est pas du tout adapté. Elle décide alors de créer un dilatateur vaginal connecté pour la rééducation périnéale.

Le principe est simple : les données sont transmises en direct à une application pensée par et pour les femmes, permettant aux patientes de reprendre du pouvoir sur leur rééducation. Basée en Ontario, elle vient de lever 5,5 millions de dollars et le produit devrait bientôt être lancé aux Etats-Unis.

FemTech Canada est depuis devenue la première organisation du pays dédiée à ce secteur. Le collectif a créé un réseau intersectionnel et inclusif riche dédié aux technologies comprenant « des produits, des services, des diagnostics et des logiciels répondant aux problèmes de santé et de bien-être qui affectent uniquement, de manière disproportionnée ou différente, les femmes, les filles, les personnes non binaires, les personnes trans et les personnes assignées au sexe féminin à la naissance »

Elle réunit bien sûr les start-up et entreprises innovantes en croissance du domaine, mais aussi des partenaires industriels, des investisseurs, des accélérateurs et des fournisseurs de service.

« Des produits, des services, des diagnostics et des logiciels répondant aux problèmes de santé et de bien-être qui affectent uniquement, de manière disproportionnée ou différente, les femmes, les filles, les personnes non binaires, les personnes trans et les personnes assignées au sexe féminin à la naissance »

— FemTech Canada

FemTech Canada réunit 125 start-up dans la santé des femmes. Crédit photo : FemTech Canada

La première année, Rachel Bartholomew réussit à regrouper 51 start-up. L’objectif du collectif est alors de « rassembler les actrices de la filière, nous soutenir les unes les autres, et nous pousser au niveau supérieur » se souvient-elle.

Trois ans plus tard, elles sont 125 au Canada et le collectif comprend également les écosystèmes FemTech de dix-huit pays, dont la France. « On a réunit d’autres délégations nationales dans l’objectif de s’aider en fonction des spécificités et des besoins de chaque pays dans le domaine de la FemTech », indique t-elle.

Elle souligne l’importance d’un tel collectif pour un secteur encore trop peu considéré. « Aux États-Unis seulement, il y a 30 000 start-up FinTech [dans la finance]. Au niveau mondial, il y a 18 000 start-up FemTech. L’argent est-il vraiment plus important que la santé des femmes ? » s’insurge-t-elle.

 « Aux États-Unis seulement, il y a 30 000 start-up FinTech. Au niveau mondial, il y a 18 000 start-up FemTech. L’argent est-il vraiment plus important que la santé des femmes ? »

— Rachel Bartholomew, fondatrice de FemTech Canada

Elle précise néanmoins qu’au Canada, la filière FemTech n’est pas aussi aboutie que chez les géants de la tech. « Il y a encore du chemin à parcourir. On n’est pas aussi avancé que nos partenaires au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais ça ne saurait tarder. Beaucoup sont en phase de développement et devraient croître dans les prochaines années », conclut-elle.

Côté français, 115 start-up FemTech

Ce secteur, encore considéré comme “niche” dans le monde de la tech, connait également un début de croissance en France. Le collectif Femtech France et le cabinet de conseil Wavestone ont collaboré pour réaliser le premier baromètre de la FemTech dans l’Hexagone. Selon le dernier rapport, 115 start-up sont recensées dans la santé des femmes. Leur chiffre d’affaires s’élève à 30,6 millions d’euros en 2022 et 40% d’entre elles ont réalisé une levée de fonds. Sans surprise, 96% ont été (co)-fondées par des femmes, les premières à s’intéresser et à croire au potentiel de ce marché, constatant que la HealthTech s’adresse avant tout aux hommes.

Autre caractéristique : ce marché est internationalisé puisque 73% des start-up françaises de la FemTech proposent leur services et leur produits en France et à l’international. 68% des start-up visent un remboursement par la sécurité sociale dans le but de diminuer les inégalités et augmenter l’accessibilité de leurs produits.

Adèle Bouscasse est la fondatrice de Maholi, lauréate de French Tech Tremplin 2023. Crédit photo : Adèle Bouscasse

Du côté de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, on retrouve notamment Maholi, une start-up lyonnaise qui commercialise des poches de froid pour soulager le périnée. Adèle Bouscasse, la fondatrice de cette start-up et membre de FemTech France, a organisé en novembre dernier un évènement dédié à la FemTech en AURA. « J’ai ressenti de la frustration car tout était centralisé à Paris sur les sujets de Femtech, alors qu’il se passe beaucoup de choses en province et surtout dans Lyon et sa région en matière de santé », confie-t-elle.

Constatant que d’autres petites entreprises se lançaient dans le secteur de la santé des femmes, la lauréate du programme French Tech Tremplin 2023 a souhaité favoriser leur mise en relation avec les acteurs plus traditionnels de la santé. L’évènement, co-organisé avec Coraline Faure, fondatrice de Kanaya, a réunit une quarantaine de personnes à Bel Air Industry.

Trois intervenantes ont pris la parole lors de cette première édition : Elodie Placide de Clitty, des sous-vêtements pour les personnes aux flux menstruels abondants, Annalisa Balladori de Ziwig Biotech, le premier test salivaire diagnostic de l’endométriose, et enfin Alice Picard, pharmacienne et fondatrice d’Equilibrist, des solutions naturelles à base de plantes, vitamines et minéraux pour soulager les maux féminins à chaque étape du cycle.

« J’ai ressenti de la frustration car tout était centralisé à Paris sur les sujets de Femtech, alors qu’il se passe beaucoup de choses en province et surtout dans Lyon et sa région en matière de santé »

— Adèle Bouscasse, fondatrice de Maholi et membre de FemTech France

Pour Adèle Bouscasse, l’objectif était de « créer des moments de partage à taille humaine avec des sujets guidés en fonction des questions du public ». L’organisation de l’événement est d’ailleurs passée par un simple groupe WhatsApp. La prochaine rencontre aura lieu au début du printemps avec un format petit-déjeuner plus intimiste, avant une troisième édition de plus grande ampleur en mai.

La FemTech est donc l’un des secteurs à suivre ces prochaines années car il pourrait bien changer le monde : les investissements adressés dans la santé des femmes, améliorant leur espérance de vie, pourraient booster l’économie mondiale de 1 000 milliards de dollars par an d’ici 2040 selon le dernier rapport de McKinsey Health Institute.

À lire également :

[INSPIRATION] Des femmes scientifiques d’origines moyen-orientale et nord-africaine témoignent

Crédit Image à la Une : Adam Winger | Unsplash