Randonneurs, vététistes, promeneurs de chiens, coureurs… Des millions d’usagers de la nature sont exposés aux accidents de chasse chaque année, pratiquée par un million de licenciés en France. Aujourd’hui, plusieurs solutions technologiques émergent pour mieux encadrer cette activité. CScience a enquêté sur les outils numériques disponibles, et interrogé toutes les parties prenantes, qui semblent unanimes : une application mobile universelle manque à l’appel.
Dans un communiqué de presse, l’office français de la biodiversité (OFB) a recensé 78 accidents de chasse au total sur la période 2022-2023, dont six mortels. La période précédente faisait état de huit morts, dont deux non-chasseurs. Bien que la tendance générale soit à la baisse depuis 20 ans – l’OFB recensait 31 morts sur la période 2001-2002 – ces accidents mortels, surtout lorsqu’ils concernent des personnes qui ne chassent pas, doivent à tout prix être évités. Et l’avènement des outils numériques dans cette pratique semble apporter une première réponse.
Les outils existants et les nouvelles approches innovantes
Les outils technologiques dédiés de près ou de loin à la pratique de la chasse se développent déjà depuis quelques années. MyHunt, lancée en Allemagne en 2018, propose par exemple toute une série de fonctionnalités telles que les limites géographiques des zones de chasse, un journal de bord numérique ou encore des cartes hors ligne qui permettent aux chasseurs de ne pas entraver les zones non dédiées à la chasse. Elle s’est depuis exportée dans 155 pays en 5 langues – espagnol, français, italien, anglais et allemand. En France, l’application Suricate propose de signaler des problèmes lors des activités sportives ou des sorties loisirs en pleine nature. Lancée par le gouvernement il y a plus de dix ans, et malgré l’annonce d’une mise à jour début 2023 suite à plusieurs accidents mortels de chasse, elle semble surtout adaptée pour signaler les informations erronées et les équipements défectueux.
Des applications mobiles plus récentes innovent dans leur approche. C’est le cas de « Chasse en cours », une application à destination des chasseurs et des différents usagers de la nature, sur un format participatif. Elle a été créée il y a un plus d’un an par Mikaël Wawrziczny, développeur informatique indépendant : « L’idée est née en janvier 2023, lors d’une discussion avec ma femme. Elle m’a fait part de son inquiétude de sortir avec nos quatre enfants durant la saison de la chasse ». Ils vivent en Normandie, près d’Evreux, et les accidents liés à la chasse ou à la présence de gibier sur la route sont courants. « Je me suis dit qu’il existait déjà depuis longtemps un système communautaire avec l’application “Waze”, alors pourquoi ne pas l’appliquer à la chasse ? » se souvient-il.
« Je me suis dit qu’il existait déjà depuis longtemps un système communautaire avec l’application “Waze”, alors pourquoi ne pas l’appliquer à la chasse ? »
– Mikaël Wawrziczny, fondateur de l’application Chasse en cours
Le principe est simple : les chasseurs délimitent sur l’application une zone de chasse pendant un temps donné. Les autres usagers de la nature peuvent les signaler en temps réel afin de prévenir les autres passants. Un signalement qui demande seulement quelques secondes aux chasseurs, autant de temps que de mettre un panneau « Chasse en cours » sur le bord de la route selon Mikaël Wawrziczny. « Attention, l’objectif n’est pas de pointer du doigt les chasseurs. J’ai créé “Chasse en cours” pour proposer une solution qui fasse consensus », souligne son fondateur. Il indique d’ailleurs s’être rendu sur différents salons de chasse afin de se confronter à l’avis des chasseurs. En un an, 663 sessions de chasses ont été lancées partout en France via l’application. Elle compte 4 712 utilisateurs tout confondus, dont environ 1 000 chasseurs. « Mais 1 000 chasseurs sur un million au total en France, c’est rien ! » s’exclame Mikaël Wawrziczny.
Chasse et technologie, deux mondes difficiles à marier
Justement, qu’en pensent les chasseurs ? Antoine Herrmann est le directeur de la Fédération nationale des chasseurs du Rhône (FNC). L’organisation regroupe près de 400 associations pour environ 10 000 chasseurs qui viennent pratiquer sur le territoire rhodanien chaque année. « Mon rôle, c’est de leur apporter du conseil, notamment sur les questions environnementales et juridiques », indique-t-il.
Interrogé sur la place de la technologie dans la pratique de la chasse, il mentionne différentes utilisations, plutôt axées sur l’amélioration des techniques. « On a beaucoup exploité les données GPS pour la cartographie, mais ce qui semble monter en puissance aujourd’hui, ce sont les technologies de drone pour les prises de vue aérienne combinées avec les technologies de vision nocturne thermique. »
Cette dernière permet par exemple de repérer les chiens pendant la chasse au grand gibier, ou de survoler les parcelles afin d’identifier des faons et des chevreuils durant la période des foins et éviter qu’ils passent dans les machines agricoles. Il précise néanmoins que « La chasse reste une pratique au plus proche de la nature, impliquant d’utiliser le moins de technologie possible ».
« La chasse reste une pratique au plus proche de la nature, impliquant d’utiliser le moins de technologie possible »
– Antoine Herrmann, directeur de la Fédération nationale des chasseurs du Rhône
Quant aux nouveaux outils de géolocalisation des chasseurs, le directeur de la FNC Rhône semble ouvert… A condition qu’ils soient au service uniquement des chasseurs. Selon lui, ce type d’application est bien exploité par les chasseurs : « La technologie fonctionne très bien et ceux qui l’utilisent en sont satisfaits » indique-t-il. Il mentionne l’application Protect Hunt, accessible uniquement aux licenciés, qui permet de cartographier les zones de chasse pour positionner les chasseurs en amont.
Avec sa solution accessible aussi aux autres usagers de la nature, Mikaël Wawrziczny témoigne plutôt de réticences de la part des associations de chasse, peu enclines à utiliser son application. « Je n’ai eu aucun retour de la part des associations de chasseurs quant à l’adoption de mon application. » Ces dernières utilisent tout un système de « parcage » qui pourrait être utile pour prévenir les accidents, mais les données sont difficiles à récupérer selon le développeur. Son approche se veut pourtant universelle et communautaire, avec une application gratuite, sans collecte de données personnelles ni obligation de créer un compte.
Le risque d’appropriation du territoire par les chasseurs
Du côté des associations d’opposition à la chasse, les avis sont mitigés. Jean-Louis Chuilon est le président national de l’Alliance des opposants à la chasse, un organisme qui regroupe les particuliers et les associations – environ 40 sur l’ensemble du territoire – demandant l’abolition de la chasse et du piégeage. Expert dans le domaine de la biodiversité, il a déposé récemment un dossier argumenté auprès du Sénat prouvant que la chasse impacte durablement la biodiversité et différents domaines de la société, dans le cadre d’une « mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse. »
Selon lui, les applications existantes ne sont pas suffisantes. Jean-Louis Chuilon dénonce déjà le manque d’informations autour de cette activité, notamment sur les jours de chasse. Il rapporte que les préfectures, en charge d’informer le public, jugent cette transmission d’informations « trop compliquée ». « L’information est nulle, et comme elle contrarie les chasseurs, les ministères ne font rien » ajoute-t-il. Quant à l’application « Chasse en cours », il pointe la fonctionnalité permettant de connaître la position des chasseurs. Selon lui, elle est la porte d’entrée à l’appropriation des territoires par les chasseurs, et ces derniers pourraient s’en servir pour se justifier en cas d’accident.
« A partir du moment où le danger vient des chasseurs, c’est à eux de faire la démarche d’utiliser une application pour savoir où sont les promeneurs »
– Jean-Louis Chuilon, président national de l’Alliance des opposants à la chasse
Il explique être à la recherche d’une personne pouvant développer l’application en sens inverse : « A partir du moment où le danger vient des chasseurs, c’est à eux de faire la démarche d’utiliser une application pour savoir où sont les promeneurs ». Le discours de l’alliance est clair : la chasse détruit la biodiversité et affecte grandement la qualité du vivre-ensemble.
Le dernier rapport de l’Office National des Forêts constate en effet que « plus de 70 % des infractions au Code de l’environnement constatées par timbre-amende sont liées à la chasse et le reliquat aux réserves naturelles ou à la pêche en eau douce. », et que 131 procédures « chasse » ont été dressées en 2023. Jean-Louis Chuilon ajoute que les chasseurs transgressent régulièrement les législations et certains des plus grands principes républicains et constitutionnels.
« Lorsqu’il y a des manœuvres militaires, on bloque l’accès de la zone aux civils et c’est normal. Ici, il s’agit d’un sport ! » s’indigne-t-il. Il rappelle que le permis de chasser est un permis de complaisance, contrairement au permis de conduire qui est un permis de compétence. L’idéal pour le président de l’alliance des opposants à la chasse AURA serait donc une application pour que les chasseurs sachent où sont les promeneurs, et non pas l’inverse.
Démocratiser le réflexe du téléphone mobile lors des sorties nature
Mais le frein principal reste le recours obligatoire au téléphone connecté pendant les sorties en forêt, réflexe pas assez généralisé aujourd’hui. Tous les usagers de la nature n’ont pas leur téléphone mobile à portée de main lors de leurs sorties en plein air, et le fondateur de « Chasse en cours » en a pleinement conscience : « On doit changer et évoluer, car les technologies actuelles restent complexes pour les usagers de la nature ».
Le directeur de la fédération nationale des chasseurs du Rhône va dans son sens. « Les marcheurs qui utilisent ces applications sont sensibilisés, mais le promeneur lambda n’a pas le réflexe. » constate-t-il. Pour pallier cet enjeu, Mikaël Wawrziczny suggère par exemple de jouer avec les montres connectées, de plus en plus adoptées par les jeunes générations, qui enverraient une notification lorsque l’on rentre dans une zone de chasse. Il évoque également des nouvelles fonctionnalités sur son application pour septembre, mois d’ouverture de la saison de la chasse, avec un système ludique de points à gagner lors du signalement des chasseurs.
« Je suis pour une application qui permettrait de déterminer où sont les promeneurs, détenue ou du moins diffusée par l’Etat et obligatoire pour les chasseurs »
– Jean-Louis Chuilon, président national de l’Alliance des opposants à la chasse
La démocratisation de l’usage des téléphones connectés lors des sorties nature devrait aussi se concrétiser par une application universelle, portée par le gouvernement. « J’aimerais bien passer par l’Etat, car je propose une application qui fait consensus. L’objectif in fine est qu’on n’attende plus qu’il y ait des accidents pour faire de la prévention », confie le fondateur de « Chasse en cours ».
Il explique s’être rapproché à plusieurs reprises du gouvernement et des maires afin de proposer sa solution, sans grandes conclusions. Selon le président de la fédération nationale des chasseurs du Rhône, l’application idéale engloberait effectivement toutes les solutions technologiques existantes : « On a beaucoup d’outils, donc on cherche une technologie universelle compatible avec toutes les applications existantes. On suit les progrès avec intérêt, car on est sur le terrain, alors si on peut abonder en ce sens, ça devient intéressant. »
Le président de l’alliance des opposants à la chasse abonde dans leur sens, avec une petite subtilité : « Je suis pour une application qui permettrait de déterminer où sont les promeneurs, détenue ou du moins diffusée par l’Etat et obligatoire pour les chasseurs ». Conscient qu’elle ne serait pas adoptée par tout le monde, il estime que cette solution serait déjà un grand pas pour une meilleure sécurité et une plus grande responsabilisation des chasseurs.
A bon entendeur, donc.
Pour aller plus loin :
Les applications qui favorisent la RSE et l’engagement au travail se multiplient en France
Crédit Image à la Une : Vidar Nordli Mathisen Iba, Unsplash