La situation catastrophique du journalisme semble structurelle. Sa fin est-elle inéluctable ? Le journalisme scientifique, s’il reste l’un des outils stratégiques des gouvernements pour assurer le rayonnement de la recherche et des savoirs, voit-il son sort échapper à celui des autres médias ?
Il est temps de passer des paroles aux actes. Nos médias crèvent. Les journalistes sont désabusés et débarquent de plus en plus d’un navire qui semble en perdition.
Les mauvaises nouvelles tombent à chaque semaine qui passe. L’effroi laisse place à une certaine habitude mortifère. Licenciements, mises à pied, faillites de journaux, de rédactions… que faut-il de plus à nos responsables politiques pour comprendre qu’à ce rythme-là, le journalisme ne sera plus dans quelques années qu’un vain et vague souvenir, sans doute même une chimère pour une partie de la population ?
Plus les mois passent, plus l’espoir d’un sursaut semble s’éloigner. Plus les années passent, plus les supplications, les incantations, les intentions de nos décideurs publics semblent dérisoires face à la réalité des faits. Parce que les belles paroles appellent des actes concrets.
Passer de la parole aux actes
Les actes, ce sont des engagements financiers significatifs forts. Certes, les finances publiques sont mises à rude épreuve actuellement, mais les sommes nécessaires au sauvetage de nos médias restent insignifiantes en comparaison des montants actuellement engloutis dans les géants du web. On parle de centaines de milliers de dollars en comparaison à des montants de plusieurs milliards de dollars. Le combat moral se situe là.
« Les actes, ce sont des engagements financiers significatifs forts. »
Un combat vital face à des géants qui font fi de la liberté d’expression et de la diversité éditoriale. Des machines désincarnées qui compulsent des données préformatées aux seules fins de répondre aux centres d’intérêts de lecteurs, eux-mêmes devenus des sources de données à revendre aux plus offrants ? Des algorithmes qui picorent des éléments de langage dictés par d’autres algorithmes formés à imposer un message artificiellement conçu. Est-ce là l’avenir que nous voulons pour notre information ?
Est-ce là la société que nous souhaitons pour nous-mêmes et pour nos enfants ? Est-ce là l’ouverture d’esprit à laquelle nous aspirons après des années de conquête intellectuelle ? Où se situe la ligne jaune à ne pas dépasser ?
Réaffirmer la place de l’État
L’aveu d’impuissance des pouvoirs publics face à ce que d’aucuns jugeraient inéluctable serait la preuve d’une faillite collective morale. L’acceptation d’un vide et de l’abêtissement présumé de nos populations. Prélude à des demains peu enchanteurs où le progrès laisserait forcément place à l’expression de la force, de la violence la plus brutale. Bref, un retour en arrière, aux pires heures de notre histoire.
« (…) un courage politique qui réaffirme la place de l’État, de sa protection de la diversité des sources d’expression et d’information au service de l’intérêt général. »
La crise des médias n’est pas inéluctable. Elle est le signe d’une dérive. Dérive de pratiques qui ont rendu les lecteurs dépendants de la gratuité des contenus et les annonceurs dépendants des algorithmes des géants du web. Il est temps de réaffirmer l’importance de nos médias dans l’espace public et de revaloriser le métier de nos journalistes. Pas demain. Maintenant.
Une telle position requiert une vision, un sursaut, et un courage politique qui réaffirme la place de l’État, de sa protection de la diversité des sources d’expression et d’information au service de l’intérêt général.
Il est temps de protéger le sens moral collectif qu’appelle cette diversité face à l’instantanéité et à la désincarnation de ces nouvelles sources d’information qui signent la fin de la pensée. Cela nécessite un geste significatif fort de la part de nos gouvernements. Nous devons passer des condamnations, des incantations aux actes. Pas demain. Maintenant.
Protéger la diversité des sources d’information
De la diversité, de la multiplicité, du pluriel, face aux risques, au réflexe de concentration. La tentation de tout regrouper sous une seule bannière, un seul chapeau, un seul étendard certains de nos médias pour des soucis d’efficacité ou pire d’économie serait un leurre, et risquerait surtout de conduire à l’étouffement d’une pensée féconde. En d’autres termes, ce serait un coup d’épée dans l’eau.
Il faut au contraire encourager la diversité des voix, la diversité des approches, des pratiques, en particulier dans le domaine du journalisme scientifique.
« Il n’y a rien de pire que les espaces feutrés où les experts s’autocongratulent et regardent de haut, de loin la populace qui n’y entend que goutte. »
Le journalisme scientifique tourné sur lui-même, réservé aux seuls initiés, serait l’erreur absolue. Une logique d’écosystèmes qui tourneraient en circuits fermés renforcerait le sentiment d’isolement et de déconnexion avec une grande partie de la population. Les chiffres de la défiance grandissante à l’égard de la science en sont déjà les signes les plus amers.
Il faut au contraire de l’intermédiation, la rencontre improbable des publics, la violence de la vérité exprimée et partagée. Il n’y a rien de pire que les espaces feutrés où les experts s’autocongratulent et regardent de haut, de loin la populace qui n’y entend que goutte. Cela enfante une autre source de violence plus destructrice encore.
Nos médias doivent devenir des espaces de rencontres entre ces diverses voix, ces diverses réalités, mais supportés pleinement par le travail rigoureux de journalistes et pas seulement par les faiseurs d’opinion.
Accompagner le rayonnement scientifique francophone
C’est d’autant plus le cas pour les médias scientifiques. Attaqués, vilipendés, pris à partie par une partie de la population qui voudrait que la science ne soit plus que le reflet d’une pensée magique, ou d’une orientation des faits selon les croyances du moment.
Beaucoup de choses ont été dites, écrites, au sujet de l’importance du fait scientifique, de sa fragilité, des dangers qui le guettent. Mais cela semble absent des débats qui ont cours sur les dérives actuelles de technologies disruptives comme l’IA. Ainsi que le rappelait à juste titre il y a quelques jours notre collègue Roxanne Lachapelle sur CScience, aucune recommandation du récent rapport Prêt pour l’IA, qui vise à encadrer les pratiques d’IA responsable au Québec, n’insiste sur la partie centrale que représentent l’information et les médias pour la démocratie, menacée par l’IA. Alors même que les initiateurs de ce rapport, à l’image de notre Innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, semblent reconnaître l’importance du rôle des médias d’information comme alliés de la sensibilisation scientifique.
Alors, pourquoi ne pas les mettre au centre du jeu ? Qu’attend-on pour agir ? Pour stopper l’hémorragie qui voit disparaître le journalisme à petit feu ?
Si les médias scientifiques restent le point de contact nodal entre les chercheurs et nos populations, nos journalistes sont les soldats en charge d’apporter les outils d’éclairage au débat. Ils en sont conscients, habités par le poids de cette mission d’importance capitale aujourd’hui.
Mais ils attendent des gestes significatifs forts. Des actes. Des engagements concrets. Des marques de soutien tangibles. Des appuis structurels et pérennes. En un mot, de vraies munitions pour poursuivre leur noble combat.
Pas demain. Maintenant.
Crédit Image à la Une : Unsplah / The Climate Reality Project