Tout comme les États-Unis, l’Angleterre, l’Australie et la Corée du Sud, c’est maintenant au tour du Québec de bannir de sa province le fabricant de caméras chinois Hikvision, en raison de « craintes en matière de sécurité nationale ». Alors que les risques d’espionnage de la part de compagnies étrangères sont de plus en plus considérés, les caméras de surveillance chinoises dominent encore le marché mondial de ce type de technologies, notamment en France.
Des caméras ultra précises au service de la surveillance
Installées pour améliorer la sécurité routière, industrielle et individuelle, présentes dans les écoles, les établissements gouvernementaux et les logements, les caméras chinoises de type CCTV sont très répandues. Forts de précision, grâce à une résolution pouvant atteindre une définition d’image cinq fois plus élevée que celle de l’œil humain, certains modèles de caméras peuvent identifier rapidement des visages, et repérer un individu en suivant ses déplacements dans une ville.
« Le risque majeur, c’est le fait que les données soient collectées pour être utilisées par la Chine en raison de la loi numéro 7 du parti sur l’intelligence nationale, qui prévoit que tout citoyen chinois doit soutenir, assister et coopérer avec l’intelligence chinoise. Donc, si le gouvernement décide qu’il veut avoir cette intelligence, il y a accès », résume René-Sylvain Bédard, fondateur d’Indominus et spécialiste de cybersécurité.
Plusieurs des compagnies de caméras intelligentes appartiennent en partie au gouvernement chinois. Notamment, Hikvision, qui est le plus important fournisseur d’équipements de vidéosurveillance au monde (avec un chiffre d’affaires de plus de 11 milliards de dollars en 2021), a comme actionnaire principal (41,88%) la République populaire de Chine. Les liens particulièrement étroits entre ce parti et différentes entreprises technologiques sonnent l’alarme quant à une potentielle utilisation d’images de la part de la Chine, d’autant plus que certaines compagnies de caméras chinoises ne précisent pas si les données collectées appartiennent exclusivement à l’utilisateur ou si elles peuvent être utilisées.
Les craintes relevant de l’éthique et du respect de la vie privée
Si la reprise de ces données par le fournisseur est autorisée, ce dernier pourra s’en servir pour entraîner des systèmes. M. Bédard explique qu’en observant de grandes quantités d’individus au quotidien, un modèle pourrait, après une période d’entraînement prolongée, commencer « à reconnaître des émotions, reconnaître des visages et, donc, pouvoir commencer à faire du profilage ».
Il ajoute que cette possibilité inquiète en raison du manque de supervision de ces processus et de certaines d’utilisations faites par la Chine de données provenant des caméras de son pays, estimées à près de 700 millions : « On voit que leurs caméras sont utilisées dans les camps des Ouïghours. On voit que leurs caméras sont utilisées pour la surveillance du peuple chinois, avec la possibilité de repérer des personnes d’intérêt. L’éthique, la moralité, ce sont des concepts qui sont culturellement dépendants. La Chine a d’autres standards quant à cette question. »
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Une mise en garde et quelques conseils
Pour assurer une meilleure cybersécurité quant aux caméras achetées, tant par des individus que des entreprises, René-Sylvain Bédard recommande d’effectuer une recherche au préalable sur la compagnie en question, et de lire attentivement le contrat d’utilisation afin de s’assurer que l’acheteur possède ses données. « Si ce n’est pas le cas, c’est dommage, mais je ne les brancherais pas. On est dans une situation où il y a énormément de pays, de gouvernement et d’institutions hospitalières qui les ont bannis. »
En plus du Québec, les États-Unis, l’Angleterre, l’Australie et la Corée du Sud ont tous banni ou restreint l’achat de produits de la compagnie Hikvision qui, selon une recherche de 2021, possèderait pas moins de « 4,8 millions de réseaux d’appareils dans 191 pays hors de Chine ».
Des vulnérabilités dans les systèmes de caméra CCTV semblent aussi se multiplier, alors que certains modèles de caméras chinoises « ne sont (ni) sécurisés par HTTPS (ni) en mode de protection efficace de l’accès. Ça devient des postes d’écoute auxquels n’importe qui sur internet a accès dès qu’il en a l’adresse IP. »
Certains pays continuent toutefois de permettre l’utilisation de systèmes de caméras chinoises, même en connaissant les risques encourus. Des systèmes de caméras de substitution plus éthiques existent, mais sont généralement beaucoup plus dispendieux que les produits technologiques chinois. « Ce ne sont pas toutes les compagnies qui sont capables d’investir (massivement) pour sécuriser leurs données, surtout en sortant d’une pandémie », déplore M. Bédard, qui souhaite qu’un plus grand soutien financier soit accordé à la protection des données.
IA, législation et gouvernance des données
Alors que de plus en plus de règlements législatifs visent à atteindre une meilleure protection des données, et que l’EU appelle à une plus grande transparence quant au développement et à l’activité des systèmes de reconnaissance et de surveillance, M. Bédard souhaite, à plus petite échelle, que chaque pays fasse « des révisions relativement à ce qui est banni et ce qui ne l’est pas. Je sais que la Chine est un très grand partenaire économique, on ne peut pas simplement bannir tout ce qui en provient. Mais à partir du moment où l’on dispose de lois pour protéger la vie privée, il faudrait que le bannissement s’étende à tout ce qui risque de compromettre cette vie privée. »
Pour assurer un meilleur encadrement du déploiement des caméras intelligentes, ainsi qu’une meilleure sécurité des données, il faut que « l’IA et ses données restent la propriété de la personne qui en est à l’origine, et que toute la portion relevant de la collecte de données par un tiers soit rédigée et réglementée. On parle alors de gouvernance, de droits, de respect de la vie privée. on parle du droit à être oublié, dans une certaine mesure. »
Crédit Image à la Une : Rob Sarmiento, Unsplash
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