La cyberintimidation n’est pas un problème nouveau. Au contraire, depuis l’avènement des réseaux sociaux et leur montée de popularité en puissance auprès des utilisateurs, le harcèlement en ligne fait des ravages dans le monde entier. Plus inquiétant encore, les dernières études montrent que le phénomène ne fait que s’aggraver et s’étendre.
La cyberintimidation est un sujet qui ne cesse de faire parler. De plus en plus de groupes et de secteurs de la sphère numérique dénoncent le harcèlement qu’ils subissent en ligne. Qu’il s’agisse de journalistes, d’enseignants, de politiciens, de créateurs de contenu ou encore de gameuses, tous ceux qui naviguent sur le web sont susceptibles d’être victimes d’un cyberharceleur.
Néanmoins, selon les études, ce sont les adolescents qui semblent les plus touchés par cette problématique. Le Centre canadien de la protection de l’enfance a d’ailleurs observé une augmentation de 37 % de la cyberintimidation chez les jeunes en 2021 par rapport à l’année précédente. Aujourd’hui, un autre phénomène fait beaucoup jaser en la hausse des cas de sextorsion chez les adolescents Canadiens.
Cyberintimidation et sextorsion : quand des adolescentes se donnent la mort
Une étude concoctée par McAfee, entreprise spécialisée dans la cybersécurité, révèle que 57 % des jeunes du monde entier âgés de 10 à 18 ans ont admis avoir été victimes de cyberintimidation. Cela signifie que plus de la majorité des adolescents d’aujourd’hui se disent personnellement affectés par le harcèlement en ligne. On peut supposer que si les victimes de cyberharcèlement se font de plus en plus nombreuses, le nombre de harceleurs en ligne aussi. Mais comment expliquer la recrudescence d’un tel comportement sur le web?
La cyberintimidation
Sur le site du gouvernement du Québec, on définit la cyberintimidation comme étant « un geste d’intimidation réalisé dans le cyberespace. Elle peut se produire par différents moyens de communication : réseaux sociaux, blogues, jeux en ligne, messagerie instantanée, messages textes, courriels, etc. » Bien que cela semble facile à comprendre, le cyberharcèlement englobe de nombreuses formes d’intimidations.
Selon l’expert Stéphane Villeneuve, professeur en intégration du numérique et expert en prévention de la cyberintimidation, il existe 29 items différents sur une échelle psychométrique de la cyberintimidation : « Ça peut être des propos dénigrants; (…) sexistes; des propos qui peuvent être en lien avec l’orientation sexuelle; au niveau de la compétence des gens (…) Ça peut être le partage de fichiers vidéo qui sont modifiées avec des images modifiées que l’on partage ensuite sur les réseaux sociaux; du Doxing, donc du partage d’informations personnelles sur les réseaux sociaux pour nuire à la personne; l’envoi de fichiers infectés, même si c’est plutôt rare; le piratage de compte, l’usurpation d’identité. »
Plus de la moitié des jeunes à travers le monde ne font pas la différence entre une interaction saine et une interaction malsaine.
Un sondage réalisé par HabiloMédias révèle que 32 % des jeunes Québécois âgés de 9 à 17 ans admettent avoir été victimes de cyberintimidation en 2021. Les formes les plus courantes de harcèlement en ligne sont les insultes (46%), les fausses rumeurs (20%), les menaces physique (11%), le harcèlement sexuel (14%) et l’intimidation raciale (25%).
Or, l’étude menée par McAfee révèle un autre fait marquant. Selon le rapport, 14 % des jeunes interrogés reconnaissent ouvertement avoir intimidés par un ou des individus en ligne. D’autre part, 53 % rapportent avoir commis des gestes, tels que des insultes et des moqueries, à l’égard d’autres personnes sans identifier leur comportement comme du harcèlement en ligne.
En d’autres termes, un peu plus de la moitié des jeunes à travers le monde ne font pas la différence entre une interaction saine et une interaction malsaine.
[Émission C+Clair] Cyberintimidation, comment préserver nos enfants ?
Sous influence
Il est bien connu que les adolescents sont très influençables. C’est aussi la tranche d’âge qui passe le plus de temps en ligne, en moyenne cinq heures par jour. Sans parler des années de pandémies et des périodes d’enfermement qui n’ont pas manqué d’aggraver le problème. Cette combinaison pourrait expliquer, en partie, l’augmentation de la cyberintimidation au cours des dernières années. C’est du moins ce qu’affirme Stéphane Villeneuve : « Il y a toute une recrudescence aussi de valeurs qui sont véhiculées dans les réseaux sociaux et qui peuvent faire en sorte qu’on pense que les jeunes sont en grande ouverture d’esprit. Mais lorsque l’on est sur le terrain, on peut constater qu’en fait les jeunes sont très influençables et ça se répand encore plus rapidement à cause des réseaux sociaux (…) Donc les jeunes sont aussi des potentiels agresseurs en ligne. »
« Les menaces de mort en ligne, c’est la même chose qu’une menace en personne. Les gens n’en sont pas conscients, mais on peut poursuivre en justice dans ce cas. »
– Stéphane Villeneuve, professeur en intégration du numérique et expert en prévention de la cyberintimidation
D’après M. Villeneuve, des personnalités publiques et controversées comme Andrew Tate y sont pour quelque chose. En effet, cet influenceur du web fait énormément parler de lui en raison de ses propos qualifiés de sexistes, misogynes et haineux. Tate est présentement accusé de viol ainsi que de trafic humain. Bien qu’il soit actuellement banni de certaines plateformes comme Instagram et Facebook, Andrew Tate compte actuellement plus de 8 millions d’abonnés sur X (ancien Twitter) et ses idées ne cessent de circuler en ligne.
« Et ces individus, qui sont un peu plus regroupés et qui ont la même mentalité, en fait, pour eux, c’est normal de dire des choses comme cela. Ils se disent, ‘si quelqu’un de connu mondialement sur internet a le droit de le dire, alors moi aussi…’ Un peu comme ce qui a suivi l’élection de (Donald) Trump, qui donnait l’impression que l’on pouvait dire n’importe quoi à n’importe qui, sans conséquence. Et le fait qu’il puisse être à nouveau président semble donner une certaine légitimation aux discours des gens qu’on ne leur reconnaissait pas avant. »
Une solution
De son côté, le gouvernement québécois semble vouloir s’attaquer au problème. Préoccupé par l’augmentation de la cyberintimidation, le ministre de la sécurité publique, François Bonnardel, travaille actuellement sur un projet de loi visant à introduire des sanctions plus sévères. Cette mesure législative porterait principalement sur les conséquences de la cyberintimidation.
M. Villeneuve rappelle que « Les menaces de mort en ligne, c’est la même chose qu’une menace en personne. Les gens n’en sont pas conscients, mais on peut poursuivre en justice dans ce cas. Donc, il y a toute une question relative au comportement civil en ligne, puisqu’en n’ayant pas sa victime en face de soi, on est détaché de sa réaction. »
Il estime que le meilleur remède pour contrer la cyberintimidation consiste en la sensibilisation et la prévention. « C’est vraiment plus par l’éducation que par les lois que ça passe, car on va toujours avoir des gens qui vont les transgresser. »
Toutefois, il ajoute que les applications ont également une part de responsabilité dans ce problème. « Moi, j’aimerais ça que les réseaux sociaux soient plus proactifs. Avec l’intelligence artificielle en plus, on est capable de reconnaitre les propos qui sont mentionnés. L’IA pourrait tout de suite bannir le cyberintimidateur. Il y a plein de choses que les réseaux sociaux peuvent faire, mais, évidemment ils veulent avoir des utilisateurs, des usagers, avoir de la publicité, de l’argent, des profits et tout, alors ils se limitent. »
Crédit Image à la Une : RDNE Stock project (Pexels) et imgix (Unsplash)