Flavien Chervet est un entrepreneur, écrivain et artiste numérique spécialiste de l’intelligence artificielle (IA). Il vient de publier Hyperprompt, le premier manuel français de prompt engineering, véritable mode d’emploi pour maîtriser l’art des requêtes aux IA. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle générative, le prompt engineering, ou ingénierie de commande, devient une compétence indispensable pour maîtriser pleinement ces outils. Il accorde un entretien à CScience dans son atelier d’artiste en bord de Saône.
Vous êtes écrivain, conférencier, entrepreneur, poète et, depuis peu, prompt engineer. Qu’est ce qui vous a amené au prompt engineering ?
Je suis arrivé au prompt engineering par le biais de l’art, en 2015, lorsque j’ai réalisé mes premières expositions d’œuvres générées par IA. À l’époque, je promptais sans savoir que je promptais. Ce n’est qu’au moment de la sortie en 2022 de Midjourney, programme d’IA qui permet de créer des images à partir de descriptions textuelles, puis de ChatGPT, prototype d’agent conversationnel développé par OpenAI, que le terme de prompt engineering s’est démocratisé et que je m’en suis emparé.
Justement, qu’est-ce que le prompt engineering exactement ?
J’aime bien définir le prompt engineering, ou ingénierie de requête en français, comme l’art de murmurer à l’oreille des IA. C’est connaître toutes les techniques et les principes de fonctionnement des intelligences artificielles pour être capable de leur parler de la bonne façon et en obtenir le meilleur.
Vous venez tout juste de publier Hyperprompt, le premier manuel français de prompt engineering. Que trouve-t-on dans ce livre ?
Contrairement à Hypercréation, mon premier ouvrage philosophique, Hyperprompt est un manuel très opérationnel. Il nous permet de « mettre les mains dans le cambouis » et d’apprendre toutes les techniques du prompt engineering. En 2023, j’ai passé beaucoup de temps à explorer ce domaine, j’ai participé à la communauté sur le sujet, j’ai développé des techniques… Au bout d’un an d’ébullition, il fallait organiser cette masse de connaissances dans une logique didactique et pédagogique. Le manuel a donc cet objectif d’aider le grand public à devenir expert du prompt engineering. Au total, ce sont 250 pages organisées en six grands chapitres qui reprennent les techniques fondamentales et avancées pour optimiser un prompt et l’intégrer dans les fonctionnalités avancées de ChatGPT, mais aussi les méthodes de prompting d’image avec Midjourney et Leonardo Ai, les autres formes d’IA génératives émergentes (audio, vidéo, 3D, code), ou encore deux histoires de projets créatifs complexes utilisant les IA pour inspirer les lecteurs.
À qui s’adresse-t-il ?
Il s’adresse évidemment à tout le monde ! Selon moi, l’IA va devenir l’infrastructure sous-jacente principale de notre monde, et prendre cette vague dès aujourd’hui est très important. Le prompt engineering est d’ailleurs le meilleur moyen pour le grand public de se lancer dans les IA génératives. La barrière à l’entrée est moins grande, s’agissant de langage naturel, et elle peut devenir un excellent outil d’égalité sociale.
À titre d’exemple, j’ai vécu une expérience forte il y a quelques semaines. Pendant l’une de mes conférences sur le prompt engineering dans une MJC de la banlieue lyonnaise, j’ai insufflé aux jeunes participants la nécessité de développer leurs capacités cognitives dans plusieurs domaines, et notamment celui de l’histoire de l’art, pour apprendre à prompter intelligemment. L’un d’eux souhaite créer une marque de prêt-à-porter avec des images générées par IA et il m’a écrit quelques jours plus tard en m’indiquant qu’il venait de s’inscrire à un cours d’Histoire de l’art. Cela m’a beaucoup ému ! Si le prompt engineering peut aussi être un point d’entrée pour s’intéresser aux domaines artistique, intellectuel ou culturel, il devient un vecteur d’éducation très puissant.
Pensez-vous que le prompt engineering nous rend plus intelligent ou plus dépendant de la technologie ?
L’Histoire de l’humanité est une construction d’interdépendance humain-machine. Selon moi, il faut aller au-delà des deux statu quo actuels : techno-enthousiaste ou techno-critique. Je veux proposer de nouveaux imaginaires optimistes et raconter d’autres projets de société avec l’IA, en créant des technologies qui amènent à un “hyper humanisme” ou “post humanisme”. Et je crois que le mot clé est la tendresse. Elle permet de prendre en compte la vulnérabilité d’autrui et d’introduire un nouvel imaginaire en lien avec la technologie tout en proposant un modèle de société beaucoup plus humain.
« J’aime bien dire qu’avec du prompt engineering, tu peux faire de l’intelligence artificielle ou de la médiocrité artificielle. Il y a donc un véritable enjeu à développer son intelligence au contact de l’IA, afin qu’elle ne devienne pas un outil pour régresser ! Mais je suis persuadé que le prompt engineering a cette capacité à élever le niveau d’intelligence.”
– Flavien Chervet, auteur d’Hyperprompt
Qu’est ce que le « réflexe IA » que vous théorisez dans Hyperprompt ?
Aujourd’hui, le réflexe Google est complètement intégré dans la société. On consulte le moteur de recherche pour choisir un restaurant, préparer un itinéraire, trouver une information sur une célébrité.. Le réflexe Google c’est “la connaissance est à ma portée”. Le « réflexe IA », c’est “l’intelligence est là instantanément”. C’est un changement de société majeur ! Avant, il n’y avait pas de distance entre l’ignorance et la connaissance d’un point de vue technologique. Désormais, il n’y a plus de distance entre l’intention et la réalisation. Ce réflexe va évoluer avec le développement du domaine. Et moi, en utilisant l’IA vingt à trente fois par jour, je l’ai déjà adopté.
IA générative et moteurs de recherche : les effets révolutionnaires à prévoir
Est-ce que Lyon et sa région se distinguent en termes d’IA génératives ?
Pas vraiment, le terrain de jeu est actuellement en Amérique du Nord et en Chine. Certes, il y a Londres et Paris qui se distinguent en Europe, mais Lyon reste une petite ville. La France a une carte à jouer, mais elle reste pour l’instant enterrée dans ses problématiques habituelles de pays très institutionnel, perfectionniste et légiférant, où l’action est difficile à mettre en œuvre. Il y a certains avantages mais dans des moments d’ébullition comme celui-ci, ce n’est pas la bonne stratégie. Si Lyon possède un bel écosystème et des startups prometteuses, elle reste une petite cour de récréation. D’ailleurs, je déménage à Paris au mois de mars pour obtenir plus de caisses de résonance…
Vous publiez ce guide auprès de la maison d’édition franco-canadienne Nullius in Verba. Y a-t-il une raison à ça ?
Il s’agit avant tout d’un sujet de fidélité. C’est une maison qui m’a déjà édité et je cultive une amitié profonde avec Miguel Aubouy, son fondateur. Il m’a accompagné dans l’écriture d’Hypercréation et m’a fait grandir en tant qu’auteur. C’est aussi parce que cette maison d’édition travaille à l’autonomisation de l’humain par la création et non pas par le pouvoir. Dernièrement, je suis devenu actionnaire de Nullius in Verba et je dirige une collection, Les Artifices de la Création. C’est un véritable véhicule pour mes projets et un partenariat très fort.
« La technologie doit absolument être poétisée pour nous amener à être plus tendre.»
– Flavien Chervet, auteur d’Hyperprompt
2024 sera-t-elle l’année du décollage des usages de l’IA ?
2023 a été l’année de la découverte des intelligences artificielles. Je pense que 2024 sera l’année de son intégration dans les usages parce que l’aspect sécuritaire sera plus abouti, les systèmes seront plus matures, et la loi va progressivement se mettre en place. Il n’y a qu’à voir aux États-Unis, l’IA s’est répandue comme une trainée de poudre et ils ont généralement un an d’avance sur nous. Si 2024 va être une année d’adoption massive, 2025 sera l’année de la maturité des assistants personnels, avec notamment l’iPhone 16 qui devrait proposer une première version aboutie. Je parle de tout cela dans mon prochain ouvrage, une bande-dessinée philosophique et politique qui sera publiée en 2025.
Crédit Image à la Une : Laurie Bruno
À lire également :
[ANALYSE] Les IA génératives et ChatGPT au service de la créativité