François Blanchardon a récemment été promu au grade de Chevalier de la Légion d’honneur du 14-Juillet. Pourquoi ? Il figure parmi les personnalités françaises les plus impliquées dans la défense des usagers de santé. Le conseil de surveillance des Hospices Civils de Lyon, le conseil territorial de santé de la circonscription du Rhône, la délégation régionale de France Assos Santé, ou encore l’association Afa Crohn Rch sont autant d’organisations au sein desquelles l’expert siège. Dans un entretien pour CScience, il présente l’innovation technologique comme indispensable pour pallier la crise de l’accès aux soins en France.
Depuis 2014, vous présidez la délégation régionale de France Assos Santé. Quelle est votre mission ?
France Assos Santé, c’est l’organisation de référence pour représenter les patients et les usagers du système de santé et défendre leurs intérêts. Elle a été créée en 2017 et représente l’union nationale des associations agréées du système de santé, mais elle est avant tout la continuité des collectifs inter-associatifs sur la santé lancée en 2002. Je préside la délégation régionale qui regroupe plus de 130 associations du territoire d’Auvergne-Rhône-Alpes. Notre vocation, c’est d’accompagner les représentants de ces associations durant leurs mandats mais aussi leurs bénévoles pour porter la voix des usagers dans le monde de la santé.
En tant qu’expert, pourquoi le système de santé français semble se fragiliser ?
On observe actuellement une augmentation de la demande pour plusieurs raisons : la population vieillit, les maladies chroniques se développent, les pathologies de santé mentale s’accroissent… Autant de facteurs qui induisent un besoin plus important d’accès à la médecine depuis quelques années en France. Mais en prenant du recul, on voit que c’est un problème pour beaucoup de pays et je pense que chacun a ses difficultés propres dans le cadre de son accès aux soins. Certains savent mieux l’organiser, comme l’Espagne et l’Allemagne par exemple. Chez nous, on a un recours beaucoup trop systémique aux urgences. Attention, c’est une bonne chose, car c’est une offre en soit. Mais une offre qui n’est pas suffisamment adaptée, car elle ne répond pas aux besoins des patients. Par exemple, si en plein week-end, j’ai un problème de santé suffisamment important pour aller consulter, je vais aller aux urgences car je ne connais pas le nom du médecin de garde le plus proche.
« On observe actuellement une augmentation de la demande pour plusieurs raisons : la population vieillit, les maladies chroniques se développent, les pathologies de santé mentale s’accroissent… Autant de facteurs qui induisent un besoin plus important d’accès à la médecine depuis quelques années en France. »
Quelle serait la solution pour pallier ce réflexe des urgences en premier recours ?
La clé pour éviter le recours systématique aux urgences est d’améliorer la présence d’une offre de soins de premiers recours, accessible et pas trop loin, et que l’on sache qu’elle existe... D’ailleurs, le premier réflexe est de téléphoner. Mais aujourd’hui, on a des difficultés ne serait-ce que pour joindre un cabinet médical et prendre un rendez-vous. Il y a un phénomène d’engorgement, alors je n’imagine pas pour annuler un rendez-vous ! C’est pourquoi nous n’acceptons pas la « taxe lapin », une sanction financière de cinq euros pour les personnes qui ne se présentent pas ou n’annulent pas au moins 24 heures à l’avance leur rendez-vous médical. Notre principale difficulté aujourd’hui en France c’est que l’offre de soin de premier recours et libérale n’est pas lisible et mal expliquée pour les patients.
Comment améliorer la lisibilité pour l’usager ?
Selon moi, on doit innover et trouver des nouveaux outils technologiques. Il ne faut pas croire qu’on arrivera à revenir en arrière, avec un médecin de famille accessible facilement qui travaille de 5H du matin à 23H, ça n’existera plus ! Pour améliorer ce que l’on vit aujourd’hui comme une déficience du système de santé, il faut développer des nouveaux outils d’organisation pour favoriser la lisibilité et la compréhension par l’usager. Je peux citer une expérimentation comme le SAS, un service d’accès aux soins. Par ailleurs, on demande beaucoup plus systématiquement d’appeler le 15 [le numéro du SAMU français] pour orienter le patient aujourd’hui, c’est un premier pas. Je crois que tout ça améliorerait déjà un peu cette lisibilité pour les usagers.
Selon la DREES [Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques], 5 millions de Français de plus de 16 ans n’ont pas de médecin traitant, soit 11 % de la population. Quelle est la situation dans notre région ?
On peut considérer que le nombre d’Auvergnats Rhônalpins sans médecin traitant est important et supérieur à la moyenne. Ils peuvent avoir accès à des médecins généralistes, notamment grâce à l’ouverture de ces plateformes digitales comme Doctolib, mais aussi des maisons de santé ou des maisons médicales de garde, mais pour autant, ils n’ont pas un médecin traitant. Et c’est important car c’est celui qui va vous suivre, vous faire vos consultations de prévention, vous parler de dépistage, vous connaître dans votre globalité… On peut considérer qu’avoir un médecin traitant, c’est apporter une qualité de prise en charge bien meilleure qu’un médecin généraliste. On est loin du compte dans notre région. Et parmi ces cinq millions de Français sans médecin traitant, 800 000 sont concernés par une infection longue durée ou une maladie chronique. Cela pose problème pour leur parcours de soins, notamment pour le renouvellement de leur caractérisation de traitement longue durée.
« On peut considérer que le nombre d’Auvergnats Rhônalpins sans médecin traitant est important et supérieur à la moyenne. »
Quelles sont les difficultés propres à notre territoire ?
On est une région avec un territoire assez particulier dans sa géographie. Il y a à la fois des grosses agglomérations et des métropoles, mais aussi des grands espaces ruraux et toute une partie montagneuse du côté des Alpes, qui posent une difficulté de fait d’accès aux soins dans la région. Et bien qu’on ait une concentration très importante des professionnels de santé dans les zones urbaines, on peut rencontrer des problématiques si on vit à Lyon au même titre que les autres usagers.
Justement, pourquoi est-ce difficile d’accéder au soin même lorsqu’on vit dans une grande métropole ?
C’est une bonne question, car dans les grandes villes, il y a une forte concentration de spécialistes. Selon moi, le problème vient du fait que l’offre ne soit pas suffisante en termes de nombre de rendez-vous. L’accès aux spécialistes, particulièrement aux dermatologues par exemple, reste un problème pour beaucoup. Et même si la loi qui oblige à passer par un médecin généraliste pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste a récemment été modifiée, je ne crois pas qu’elle l’améliore. Elle risque au contraire de créer un engorgement.
S’il y avait trois mesures à prendre immédiatement pour améliorer l’accès aux soins, quelles seraient-elles ?
Premièrement, garantir une réponse systématique, adaptée et connue par tout usager de notre territoire à une distance raisonnable. Et cette réponse pourrait provenir d’un médecin – salarié ou libéral – d’un établissement de santé, d’une maison médicale de garde. Moi j’ai du mal à accepter qu’un professionnel de santé dise « je ne prends pas de nouveaux patients », ce n’est pas acceptable pour moi.
« […] il y a des innovations mises au point par certains acteurs qui apporteront des choses très intéressantes d’ici quelque temps. »
En deuxième lieu, améliorer la fluidité des relations entre les différents acteurs de santé. Pour qu’un infirmier puisse détecter une situation qui nécessite un recours à un autre expert, médical ou paramédical, ou qu’une pharmacienne puisse assurer un service de soin de proximité et fasse le relai pour une prise en charge. Les instances de démocratie sanitaire peuvent favoriser les rencontres entre les acteurs et favoriser leur coordination.
Enfin, travailler sur la prévention. La santé en France se résume aux soins, mais c’est avant tout du bien-être ! Dans cette lignée, j’ajouterais que l’ensemble des politiques publiques prennent mieux en considération la santé. Une mesure simple qui permettrait d’améliorer beaucoup de situations et qui relève uniquement de la volonté politique.
À propos de volonté politique, est-ce qu’on va dans le bon sens ?
Je dirai que parfois on avance, et parfois on recule. Il y a des bonnes intentions et des volontés d’améliorer, mais on est souvent contraint à des règlements administratifs contraignants. Je crois qu’ici aussi, il faudrait apporter de la souplesse à l’organisation. Mais je suis optimiste tout en étant serein car je considère déjà notre système comme quelque chose de précieux, et on doit tout tester pour améliorer les organisations actuelles. On a un des meilleurs systèmes de santé au monde avec une prise en charge quasi illimitée des patients. Nous, on se bat pour protéger ce système qui est efficace, et on essaye de résister à ceux qui font payer les excès de santé aux usagers. Il faut surtout le rendre plus visible, tout simplement. Mais avec un peu de bon sens auprès de tout le monde, je crois que ça peut marcher. Et de ce point de vue, il y a des innovations mises au point par certains acteurs qui apporteront des choses très intéressantes d’ici quelque temps.
Que pensez-vous de l’innovation technologique en santé ?
On arrivera à améliorer l’accès aux soins grâce à l’innovation. Ceux qui pensent qu’on peut revenir en arrière se trompent, car nos métiers ont changé, notre rapport aux soins a changé, nos prises de rendez-vous et nos suivis de santé ont changé… L’enjeu, une fois encore, c’est de créer de nouveaux outils, pour améliorer la compréhension et la lisibilité par l’usager de notre offre d’accès aux soins. À France Assos Santé, on pousse beaucoup les différents acteurs de la santé à l’innovation – technique et médicale bien sûr, mais surtout organisationnelle. Et les usagers bénévoles de nos associations sur le terrain sont les premiers à l’expérimenter et peuvent le mieux en parler. On recommande essentiellement Mon espace santé pour l’usager dans le cadre son parcours, mais aussi pour les médecins, car la plateforme regroupe en un espace toutes les informations médicales des patients. C’est typiquement un exemple d’application publique qui marche bien, car elle s’est construite avec les usagers. Après, il existe une multitude d’applications. On n’est pas là pour donner un label à l’une ou à l’autre, mais l’idéal, c’est que l’usager aide à la création, et que les données soient strictement encadrées et protégées. Dès lors, toute application censée améliorer le parcours de santé de l’usager peut être intéressante.
Des exemples d’applications conçues avec l’aide des usagers de santé ?
Il y a quelques temps, on a participé à la création d’un outil intéressant : un réseau social pour les professionnels de santé, Réseau Pro Santé, qui a pour vocation de faciliter leurs échanges. Les médecins nous ont pleinement intégrés dans les travaux, et pour moi c’est important de participer à la conception. Il existe aussi des outils conçus par les associations de patients pour accompagner leurs parcours de santé. Je pense notamment à afa Crohn RCH France, dont je suis aussi le vice-président, qui a créé MICI Connect. Cet outil informatique a vocation à faire de « l’e-accompagnement » en proposant notamment des ateliers de cuisine en direct, des sessions de sport adaptées, des messages de prévention, et tout un tas de dispositifs pour accompagner les personnes atteintes de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). En tout cas, je crois aujourd’hui que l’on ne pourra pas trouver des solutions sans la présence et la participation active des patients. Je souhaite renforcer la place des usagers qui contribuent aujourd’hui à l’amélioration des pratiques et qui participent à la démocratie sanitaire.
Qu’entendez-vous par « démocratie sanitaire » ?
Les instances de démocratie sanitaire sont des espaces où l’on va échanger entre acteurs locaux et territoriaux. Le Conseil territorial de santé du Rhône par exemple, que je préside aussi, a vocation à réunir tous les acteurs impliqués de près ou de loin dans la santé – les élus, les députés, les sénateurs, les établissement de santé public et privés, les libéraux, les travailleurs sociaux, et bien sûr les usagers – pour travailler dans un cadre démocratique sur l’amélioration des pratiques, l’organisation d’événements, ou encore la prévention. L’objectif est de donner la parole à chacun, de faire couler les informations et de les partager. Nous organisons également le jeudi 6 juin 2024 une conférence-débat sur les inégalités territoriales en matière de santé, qui réunira un panel très diversifié d’acteurs. Ce sera un grand moment d’échanges pour améliorer l’accès aux soins dans notre région, et tout le monde est bienvenue.
Pour aller plus loin :
[IA et cancérologie] La place des patients partenaires dans un milieu en changement
Crédit Image à la Une : François Blanchardon