Comment le design interagit avec la santé ? 

Comment le design interagit avec la santé ? 

La question était posée le 2 avril 2024 à la Cité du Design Saint-Étienne, lors de trois conversations publiques présentant des exemples concrets de ces interactions.

Repenser le lieu de mémoire existant au CHU de Saint-Etienne pour les patients, familles et soignants, mais aussi inviter à la réflexion individuelle sur le don d’organe…Ou encore mieux agencer les pièces de la nouvelle Maison d’éducation thérapeutique à l’Hôpital de Hautepierre à Strasbourg, inaugurée en mai 2023, en fonction des usages complémentaires de l’équipe médicale pluridisciplinaire qui y travaille et de la diversité des pathologiques chroniques pour lesquelles les patients viennent consulter. Pour chacun de ces projets en milieu hospitalier, des designers ont été consultés et associés à leur développement, les étudiants de l’Esadse dans le premier cas, et Les Ateliers RTT, dans le second. 

Les possibilités de collaboration entre deux univers apparemment très lointains étaient ainsi au cœur d’une après-midi d’échanges, le mardi 2 avril 2024, au sein de l’auditorium de l’École supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne (Esadse), dans le cadre des animations de l’exposition « Cancer » organisée à la Cité du Design. « Car au-delà de ses considérations dites décoratives », expliquait Marie Coirié, directrice et co-fondatrice du Laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité (Lab-ah) au Groupe Hospitalier Universitaire Paris psychiatrie et neurosciences, modérant la première conversation, « le design a sa place dans la qualité de l’accueil à l’hôpital qui participe à une alliance thérapeutique pour aller vers le mieux », voire « reconstruire une estime de soi. »

Améliorer l’hospitalité à l’hôpital par le design

Une réflexion incarnée par les travaux de Benjamin Salabay et Anne-Lise Vernejoul, chefs de projets au sein du Lab-ah qui œuvrent à remettre en harmonie les accueils des services psychiatriques de l’institution parisienne. Ils ont notamment évoqué leur travail sur la réfection d’une pièce de 9m2, sans fenêtre, officiant comme salle de retour au calme pour les enfants, au sein l’hôpital de jour Picot, dans le 16e arrondissement. Avec la volonté de créer « un espace lisible […] avec des transitions douces pour permettre le recalibrage sensoriel », ils ont imaginé trois installations, en écho aux phases de la crise au chemin vers l’apaisement. 

Il y a par exemple ce pan de mur « pour leur permettre de se défouler », fabriqué en mousses à densité différentes et aux formes arrondies rappelant les paysages verdoyants de l’horizon ou « un tipi dont l’enfant peut rabattre les deux parois sur lui pour être enveloppé et les ouvrir quand il est prêt à discuter ». Ils ont insisté sur l’importance de l’utilisation de maquettes, comme outil de médiation entre les parties prenantes pour visualiser le projet, et aussi distillé l’idée que des projets d’amélioration des prises en charge pouvaient aussi être des outils contre le turnover du personnel médical.

Faire « un objet qui soigne et qui va soulager »

Outre l’amélioration de l’hospitalité des lieux de santé, il était aussi question du champs d’intervention des designers dans l’industrie médicale, incarnée notamment par le travail collaboratif entre l’agence Distorsion et Dessintey. Installée dans le parc d’activités Métrotech de Saint-Etienne Métropole, cette dernière conçoit des dispositifs de rééducation pour les patients atteints d’une affection neurologique et orthopédique basés sur la thérapie miroir. « Le design fait partie de l’ADN de notre entreprise, nous donne un véritable avantage compétitif », précisait Nicolas Founier, co-fondateur et président de la startup. « L’enjeu c’est que nos dispositifs soient hyper simples et intuitifs pour que le kinésithérapeute et l’ergothérapeute, qui n’ont que 30 minutes pour chaque patient, n’en consacrent qu’une seule à la machine grâce à une interface qui dispose d’une vraie facilité d’usage. 

Dans le cadre de son processus créatif, Marie Gérard, designer manager au sein de Thuasne, fournisseur de matériel médical orthopédique, rappelait aussi l’importance aussi de donner de la dimension à ses ébauches « pour voir l’éloquence du produit, comment il porte ses promesses. » Dans le cadre de la conception de genouillère médical, elle travaille ainsi sur un tube élastique qui bouge. Car, a-t-elle rappeler « c’est la douleur qu’on a au bout du crayon. On ne pense pas à faire un bel objet mais un objet qui soigne et qui va soulager ». 

Un produit aussi qui peut encourager, comme le tire-lait manuel Kolor Play, conçu pour l’entreprise stéphanoise DTF médical par Dooing Studio. Le cabinet d’innovation lyonnais a ainsi recruté des femmes pro et anti-allaitements pour comprendre leurs motivations et écueils. En plus d’avoir transformer le réceptacle en véritable manche ergonomique favorisant ainsi le maintien de la téterelle sur le téton du sein et donc, la stimulation, la graduation du contenant a été revue à la baisse, en commençant par 5 ml, – et non plus 30 ml comme d’autres sur le reste du marché-, un volume ainsi plus souvent atteignable pour les nouvelles mamans exprimant leur lait. 

S’ancrer dans le réel de l’usager

Prévenir et accompagner faisaient partie des thématiques de la dernière conversation. Stéphanie Marin, du studio de design smarin répond à cette problématique en s’intéressant à la fabrication d’objets thérapeutiques par la mécanique, mais ancrés dans le quotidien. Sa « sChaise », entrée dans les collections du Centre Pompidou à Paris, permet par exemple de s’asseoir, rebondir, et ainsi d’aider le corps à trouver une posture qui lui est adaptée. L’assise est utilisée notamment dans des expérimentations scolaires comme pour changer les codes de l’immobilisme attendu en classe.

Roxane Andrès, docteur en design, s’est elle intéressé à répondre aux défis du bien-vieillir, notamment par une enquête sur l’habitabilité des EHPAD de demain. Ses immersions lui ont permis d’imaginer un chariot médical greffé à un mobilier du domicile du résident, comme une table de nuit, qui favorise « l’évocation du chez soi ». Dans ses attributs, une lampe de chevet « joue le rôle de repère » en s’allumant d’une couleur différente selon s’il s’agit du service du personnel du matin, de l’après-midi ou de la nuit. L’objet s’adapte aussi à chaque membre de l’équipe médicale, en fonction de sa morphologie et ses habitudes de travail, les poignets sont par exemple modulables, car comme à chaque fois quand il s’agit de design « l’expression de l’utilisateur reste la clé de l’histoire ! »