Environnement, santé, éthique… Depuis quelques années, le secteur de l’élevage est confronté à de nombreuses tensions, ravivées par la conclusion du traité entre l’UE et le Mercosur. Face à ces enjeux, et l’émergence des alternatives à la viande, quel avenir pour la filière animale française ? Réflexion avec Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’INRAE et économiste spécialiste de la production animale.
Un vent de colère continue de souffler dans nos campagnes. L’accord de libre-échange conclut le 6 décembre dernier entre l’Union européenne et le Marché commun du sud accentue la tension chez les agriculteurs français, menacés par la concurrence directe de produits alimentaires à bas coûts. Parmi eux, une filière semble particulièrement touchée.
« Il y a des tensions dans le monde de l’agriculture, on le voit avec le retour des manifestations en France, mais en élevage c’est encore plus compliqué du fait de tous ces défis à relever en même temps »
— Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’INRAE
« Il y a des tensions dans le monde de l’agriculture, on le voit avec le retour des manifestations en France, mais en élevage c’est encore plus compliqué du fait de tous ces défis à relever en même temps » explique gravement Hervé Guyomard.
Ce chercheur est spécialisé en économie et en production animale au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Selon lui, cette crise de la filière animale est une opportunité pour « définir aujourd’hui l’élevage de demain. »
Plus d’alternative à la viande
La filière animale est avant tout un secteur qui regroupe un très large panel d’aliments du quotidien. « L’œuf, le poulet de chair, le porc, le lait, la viande bovine, et même l’abeille… Il n’y a pas une, mais des filières animales » souligne Hervé Guyomard. Autant de produits ancrés dans notre alimentation, bien que cette dernière évolue depuis quelques années.
« Nous observons une accélération de la croissance, la valeur totale des ventes au détail d’alternatives végétales ayant augmenté de 18 % entre 2021 et 2023 »
— Good Food Institute Europe
Une étude publiée par Good Food Institute Europe en octobre dernier révèle que les Français ont acheté davantage de substituts à la viande malgré l’inflation. « Nous observons une accélération de la croissance, la valeur totale des ventes au détail d’alternatives végétales ayant augmenté de 18 % entre 2021 et 2023 » détaille le rapport, et ce en dépit de l’inflation. « Malgré l’augmentation des prix, la demande en alternatives végétales est restée stable, voire a légèrement augmenté : les ventes unitaires ont augmenté de 0,9 % et les ventes par volume ont augmenté de 2 % entre 2021 et 2023. »
Moins de viande de boucherie
Des bovins qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre aux questions de régime alimentaire sain en passant par l’intérêt croissant du bien-être animal, la demande en viande est elle aussi impactée par ces nouvelles préoccupations. Pour preuve, elle diminue légèrement en France en 2023 : – 1,4 % sur un an, et – 1,7 % en moyenne par habitant selon le dernier rapport des établissements publics Agreste et FranceAgriMer.
Il révèle une double tendance : « La consommation totale de viande de boucherie diminue (- 3,7 %), notamment celle de viandes bovine, porcine et ovine. Au contraire, celle de viande de volaille et de lapin est en hausse (+ 3,3 %). »
Hervé Guyomard vient toutefois nuancer cette évolution. « Même dans les pays européens où la demande en substituts végétaux est élevée, ce marché alternatif reste faible par rapport à celui de la viande. » explique-t-il. En atteste les derniers chiffres : 18,3 millions de kilos de viande alternative contre… 5,7 millions de tonnes équivalent carcasse de viande ont été consommés en France en 2023.
Les prémices d une transition inévitable
Face à ces nouveaux défis, des solutions émergent, à l’image des technologies de rupture qui se sont emparées du marché des viandes alternatives.
Parmi les leaders du marché, la start-up californienne Climax Foods a gagné « des milliers d’années de recherche » selon son fondateur pour proposer un substitut végétal quasi-identique à une viande classique grâce à son « Deep Plant Intelligence » – apprentissage automatique dédié spécifiquement aux plantes.
La marque La Vie côté français continue de conquérir des parts de marché. Après le burger végétarien proposé chez Burger King, elle a inauguré le bagel végane chez Bagel Corner.
La viande de culture, produite en laboratoire à partir de cellules-souches, apparait elle aussi comme une solution d’avenir. Son coût a d’ailleurs diminué drastiquement ces dernières années. En 2013, le premier burger cultivé en laboratoire coûtait environ 330 000 dollars à produire.
Aujourd’hui, des produits comme la viande de poulet cultivée sont estimés à environ 50 dollars par kilogramme. Un prix encore compétitif, mais qui continue de baisser. François-Xavier Oliveau l’évoquait dans une conférence dédiée aux ruptures imminentes en novembre dernier : « Un coût aussi bas entrera forcément en concurrence avec la viande industrielle, et c’est clair que KFC ne fera plus de poulet d’élevage. »
« Un coût aussi bas entrera forcément en concurrence avec la viande industrielle, et c’est clair que KFC ne fera plus de poulet d’élevage. »
— François-Xavier Oliveau, spécialiste de la finance durable et des innovations disruptives de marché
Avec l’émergence des alternatives à la viande, la filière animale devra donc inévitablement s’adapter. « Dans ce contexte, beaucoup d’éleveurs ont déjà des difficultés économiques, notamment ceux de viande bovine » résume le chercheur.
Néanmoins, la transition ne sera pas immédiate, en raison notamment du contexte géopolitique mondial incertain qui joue sur l’inflation. « Sauf miracle, et ce qu’il faut espérer car on a besoin d’un apaisement partout dans le monde, la croissance du marché des viandes alternatives restera assez modeste. Du moins à court terme » conclut Hervé Guyomard.
Pour aller plus loin :
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