Malgré l’annonce par la Région Auvergne-Rhône-Alpes d’un investissement massif de 100 millions d’euros dédié à l’innovation d’ici 2029, le financement public reste difficile d’accès et souvent déceptif pour les start-up. Quelles sont les principales causes du point de vue des investisseurs, et comment y remédier ? Les explications de quatre experts du financement de l’innovation.
La Journée financement de la tech proposée par le cluster Digital League a permis de réunir les représentants des principaux organismes financeurs pour parler d’un sujet épineux : la frilosité des investissements publics dans l’innovation depuis bientôt trois ans en France.
Bpifrance, le Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes et les deux entreprises de conseil en innovation Theodo et Sogedev se sont donc retrouvés le 21 novembre dernier autour d’une table ronde pour débattre de leurs réalités de financeurs et éclairer un public attentif sur les principales causes de refus d’investissement public. Tous sont unanimes : la première raison est ni plus ni moins que le manque de préparation des porteurs de projets.
L’impréparation des start-up
« On a beaucoup d’entreprises qui ne sont pas prêtes » lâche Alexandre Lecki, soulignant « l’importance d’avoir une vision ». Ce responsable au sein de l’entreprise de conseil en recherche de financement public Sogedev rappelle que les demandes de financement public nécessitent du temps et de l’argent et enjoint les entrepreneurs à prendre un coup d’avance, à s’entraîner à pitcher, et à savoir rassurer.
« Nous on vous accompagne, mais c’est un travail à quatre mains, sinon vous êtes tous seuls et vous restez tous seuls »
— Alexandre Lecki, directeur des comptes stratégiques et associé à Sogedev
Il insiste sur l’aspect collaboratif d’un financement. « Nous on vous accompagne, mais c’est un travail à quatre mains, sinon vous êtes tout seuls et vous restez tout seuls » prévient-il. Alexandre Dufour, chargé d’affaires en innovation à Bpifrance, abonde : « Notre équipe gère plusieurs milliers de dossiers par an, il faut donc être rigoureux sur les documents demandés, les modalités, les délais… »
Le manque de fonds propres
La notion de fonds propres est elle aussi centrale selon les financeurs. Alexander Dufour souligne à ce titre que les fonds publics ne financent jamais un projet à 100 %, et qu’il faut être capable d’apporter des fonds propres conséquents. « Si on demande 100 000 euros de subvention, il faut au moins 100 000 euros sur du haut de bilan » résume-t-il. L’objectif est de montrer que la puissance publique peut prendre le risque de financer un projet donné.
Camille Tschaine, chef de projet partenariat et financement des entreprises innovantes au Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, vient compléter son propos. « Le fond public, c’est un plus. La puissance publique va vous soutenir pour que vous alliez plus vite sur votre marché, mais vous devez pouvoir vous en sortir seul » alerte-t-il.
L’obsolescence technologique
Autre point qui touche à l’essence même du financement de l’innovation : elle évolue plus vite que jamais, en particulier lorsqu’il s’agit de technologie de pointe.
« Si à chaque fois vous devez vous réinventer car la techno va changer quatre fois en dix ans, c’est difficile de définir vos besoins et d’évaluer nos risques »
— Président et fondateur de Theodo
Emmanuel Vignon, fondateur de l’entreprise de conseils en intelligence artificielle Theodo, souligne cet aspect : « Si à chaque fois vous devez vous réinventer car la techno va changer quatre fois en dix ans, c’est difficile de définir vos besoins et d’évaluer nos risques ».
Le mauvais timing
L’obtention d’un financement public est aussi et avant tout une question de timing. Camille Tschaine rapporte à ce titre qu’il reçoit encore beaucoup de projets qui arrivent trop tard, même pour le financement d’une seule étape. « Le problème, c’est qu’ils ont fait toutes les étapes précédentes sur fonds propres et qu’ils sont à court de trésorerie. À ce stade on ne peut plus rien faire pour eux ! »
Sur le besoin d’avancer étape par étape, Alexandre Lecki propose une analogie pratico-pratique. « C’est comme quand on monte les escaliers quatre à quatre, à un moment donné on se casse la gueule » lâche-t-il. Alexandre Dufour confirme : « Si vous allez chercher de l’argent quand vous en avez vraiment besoin, vous n’en trouverez pas. » Il conseille d’anticiper et de faire sa demande de financement bien avant d’être à court de capitaux.
« Le problème, c’est qu’ils ont fait toutes les étapes précédentes sur fonds propres et qu’ils sont à court de trésorerie. À ce stade on ne peut plus rien faire pour eux ! »
— Camille Tschaine, chef de projet partenariat et financement des entreprises innovantes au Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes
À ce titre, Emmanuel Vignon incite fortement les porteurs de projets à « se laisser une marge de manœuvre si le financement arrive plus tard que prévu ». Et c’est connu, tout facteur de rupture d’équilibre ou de gestion de trésorerie pour des projets aussi jeunes peut signer la fin d’une activité. Mais dans ce cas précis, le spécialiste propose une dernière carte : convaincre son financeur en lui expliquant que « s’il y a cru au départ, il a tout intérêt à y croire à nouveau en réinvestissant de l’argent. »
La nécessité de sortir du lot
Pour obtenir une demande de financement, il faut aussi savoir se démarquer parmi la masse de demandes envoyées quotidiennement aux organismes publics. « On reçoit encore beaucoup de dossiers pour des plateformes type réseaux sociaux » soupire Alexandre Dufour.
Le spécialiste de l’innovation au sein de la première banque publique des entrepreneurs se souvient qu’il y a quelques années, son agence recevait jusqu’à 10 dossiers par jour, et que 4 personnes se consacraient uniquement à ces projets. « Aujourd’hui, elles ne sont plus que deux, mais je vous assure qu’on en voit encore » affirme-t-il.
L’absence de maîtrise de la chaîne de financement public-privé
De même, le représentant de Bpifrance insiste sur l’importance des autres investisseurs dans une demande de financement. « On aime bien que les banques traditionnelles arrivent tôt dans le processus, au même titre que les actionnaires » détaille-t-il. Le représentant de la région Auvergne-Rhône-Alpes rappelle qu’à ce titre, leurs dispositifs de financement à l’innovation sont souvent liés à Bpifrance, et que les deux organismes ont d’ailleurs gagné en rapidité dans leurs processus communs.
« On aime bien que les banques traditionnelles arrivent tôt dans le processus, au même titre que les actionnaires »
— Alexandre Dufour, chargé d’affaires en innovation à Bpifrance
Emmanuel Vignon ajoute que la plupart de ses clients font effectivement appel à plusieurs dispositifs de financement à la fois, précisant qu’ « il faut un équilibre qui va se jouer dans le temps ». C’est d’autant plus vrai pour les innovations MedTech, qui mettent souvent plusieurs années avant d’arriver sur le marché.
Le dernier mot va à Camille Tschaine, représentant de la région, sur une note encourageante. « On vient de remettre un fond à taux zéro de 100 millions d’euros jusqu’à fin 2029 pour la région » rappelle-t-il, « et on donnera pas à d’autres régions je préviens » ajoute l’expert dans un sourire. Et d’enjoindre les entrepreneurs à aller chercher des financements. « N‘hésitez pas, venez poser vos projets et vous faire accompagner ! » Premiers arrivés, premiers servis.
Pour aller plus loin :
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