[Lyonnaises d’exception] « Lever le tabou des règles dans le monde professionnel, c’est rendre toute l’entreprise plus agile »

[Lyonnaises d’exception] « Lever le tabou des règles dans le monde professionnel, c’est rendre toute l’entreprise plus agile »

Entrepreneure, leader, chercheuse… Et si on profitait de l’été pour apprendre à connaître les Lyonnaises qui façonnent le monde de demain ? Retrouvez sur CScience « 3 questions à une Lyonnaise d’exception », une mini-série proposée par Laurie un mardi sur deux. Cette semaine, rencontre avec Éloïse Bouilloud, fondatrice de l’entreprise Moonlikate qui œuvre à améliorer le bien-être menstruel en entreprise.

Éloïse Bouilloud est une experte du cycle menstruel. Elle est aussi la présidente de l’association lyonnaise EcoFémina, membre du consortium de collectifs qui organise le festival EcoFémina. Sa philosophie ? Remettre l’humain au cœur des préoccupations des entreprises.

Persuadée qu’au XXIè siècle, il est grand temps de prendre le virage de l’équité et de l’inclusivité dans le monde professionnel, elle fonde Moonlikate en 2022, une société membre de la coopérative d’entreprises Cap Services implantée dans le troisième arrondissement de Lyon. Sa mission est simple : elle propose des outils et des méthodes pour aider les personnes menstruées à ne plus subir leur cycle menstruel, mais aussi pour former leurs collègues et employeurs afin de lever le tabou des règles en entreprise. Avec une approche innovante, qui passe notamment par le jeu. Récit.

Éloïse, vous vous définissez comme une passionnée du cycle menstruel. Qu’est-ce qui vous a amenée dans cette voie ?

Tout a commencé quand j’ai lu un livre sur le sujet en 2019. J’ai commencé à coopérer avec mon cycle, à mieux le comprendre et mieux le vivre. Il m’a aidé à tenir le rythme infernal que j’avais sur mon ancien poste de responsable de boutiques de mode éthique. Ça a changé ma vie et je me suis dit que toutes les femmes devraient connaître ça ! Alors quand j’ai quitté mon poste, j’ai eu envie de partager ce que j’avais appris.

« Tout a commencé quand j’ai lu un livre sur le sujet en 2019. J’ai commencé à coopérer avec mon cycle, à mieux le comprendre et mieux le vivre »

Je sais qu’il y a plein de livres sur le sujet, que beaucoup de consœurs en parlent déjà très bien, mais aucune ressource n’existe pour le mettre en pratique de manière très concrète dans sa vie professionnelle. Je me suis donc lancée dans la vulgarisation du cycle menstruel. Je précise tout de même que j’ai la chance de ne pas avoir de pathologie liée à mon cycle. Je suis porteuse de leur message, mais je ne pourrai jamais comprendre pleinement les femmes qui vivent avec au quotidien.

Vous fondez Moonlikate en 2022, pour sensibiliser et accompagner les entreprises vers le bien-être menstruel au travail. Comment ça marche ?

Les entreprises font appel à moi soit pour de l’animation, notamment avec un jeu de société que j’ai créé, soit pour des ateliers plus classiques qui sensibilisent sur les enjeux du cycle menstruel. Comme les conditions de travail ne sont pas les mêmes pour une employée assise à un bureau toute la journée et une vendeuse en supermarché, je m’adapte en fonction des besoins des entreprises. Mon dernier contrat par exemple était pour une société dans le bâtiment, pour laquelle j’ai fait une sensibilisation globale pour mieux vivre son cycle, complétée par un atelier sur le bien-être menstruel sur les chantiers.

« Les entreprises font appel à moi soit pour de l’animation, notamment avec un jeu de société que j’ai créé, soit pour des ateliers plus classiques qui sensibilisent sur les enjeux du cycle menstruel »

Lorsque je fais de l’animation, j’utilise un plateau de jeux qui met en avant l’importance de chaque personne dans l’entreprise en fonction de ses spécificités. Il inclut celles qui ont des pathologies telles que l’endométriose [l’endométriose concerne 10 % des personnes menstruées dans le monde, et près d’une femme sur deux indique souffrir de dysménorrhée (règles douloureuses) en France], celles qui sont ménopausées, celles qui sont non menstruées… Pas uniquement les femmes qui ont leurs règles ! D’ailleurs, on a observé en début d’année que les propositions de loi sur l’arrêt menstruel ont été refusées à l’Assemblée [texte porté tour à tour par les députées socialistes et écologistes]. Mais le cycle féminin ne se limite pas qu’aux règles – qui ne correspondent qu’à une seule des trois phases du cycle. Cela va bien plus loin et c’est ce que je veux montrer par ce jeu. On trouve donc des informations utiles, pour la partie théorique, puis des quiz et des petits jeux de rôle pour le côté ludique.

Vous vous êtes donnée pour mission de révéler la puissance du féminin dans le monde du travail, en rendant la nature cyclique des femmes bénéfique à l’entreprise. En quoi votre approche change le monde ? Et est-elle possible parce que vous êtes une femme ?

Cette approche est partie d’une revanche. On m’a souvent dit ou insinué qu’ « en tant que femme, tu ne peux pas faire telle mission, tu ne seras pas à la hauteur de tel poste… » pour tout plein de raisons qu’on connaît malheureusement trop bien. Alors quand j’ai découvert comment utiliser mon cycle, je me suis dit que c’était l’occasion de montrer qu’être une femme est au contraire un atout ! Je ne sais pas si mes formations changent le monde, mais ce qui est sûr c’est qu’elles amènent plus d’ouverture et de dialogue sur ce sujet en entreprise. De manière générale, les femmes qui adaptent leur quotidien suivant les phases de leur cycle se disent plus performantes. Et cela peut tout simplement se traduire par du repos avant leurs règles pour être plus efficaces les deux semaines suivantes, notamment lors de la phase folliculaire [qui correspond à la maturation des follicules ovariens et qui dure en moyenne 14 jours]. C’est différent d’une femme à l’autre bien sûr, mais beaucoup rapportent que ça a révolutionné leur manière d’entreprendre et de travailler.

« Alors quand j’ai découvert comment utiliser mon cycle, je me suis dit que c’était l’occasion de montrer qu’être une femme est au contraire un atout ! […] les femmes qui adaptent leur quotidien suivant les phases de leur cycle se disent plus performantes »

Là où on peut changer le monde, c’est lorsque les participants comprennent que les femmes fonctionnent par cycle et que c’est incompatible avec la linéarité de l’entreprise moderne, un modèle pensé par et pour les hommes. Alors je montre que la circularité est bénéfique ! Le travail fait partie du quotidien et il est normal de parler santé dans ce cadre-là aussi. Lever le tabou des règles dans le monde professionnel, c’est accompagner ses salariées mais c’est aussi rendre toute l’entreprise plus agile. Et ça ouvre le dialogue social sur d’autres sujets tels que la prostate [près de 50 % des hommes de plus de cinquante ans présentent une hypertrophie de la prostate, 40 % souffrant déjà de symptômes nécessitant un traitement à cet âge]. Je suis persuadée qu’en respectant les besoins les plus basiques de ses employées, non seulement on gagne en confiance et en humanité, mais on devient aussi plus performant.

« Là où on peut changer le monde, c’est lorsque les participants comprennent que les femmes fonctionnent par cycle et que c’est incompatible avec la linéarité de l’entreprise moderne, un modèle pensé par et pour les hommes. Alors je montre que la circularité est bénéfique ! »

Et en restant dans la logique du capitalisme, les entreprises ont tout intérêt à accorder un jour d’arrêt à leurs employées pendant leurs règles si elles sont plus performantes ensuite ! À quoi bon faire les contraindre à venir au travail, si c’est pour faire du présentéisme ? Cela renforce aussi la confiance avec ses salariées, et leur volonté d’être plus engagées dans leur travail à d’autres moments de leur cycle. Là-dessus, je me suis beaucoup inspirée de mon ancienne vie de manageuse. Parfois une employée m’appelait à six heures du matin pour me dire qu’elle n’arrivait pas à se lever, je devais alors trouver une solution en urgence. Avec un ou deux jours d’arrêt, ce type de situation peut être mieux anticipé.

Je précise qu’il ne faut pas rentrer dans une logique de victimisation des femmes, tout comme il faut combattre les réactionnaires qui affirment que c’est une excuse pour avoir plus de congés. Pour moi, il faut juste dialoguer. On est dans deux mondes différents, bien que les hommes aient eux aussi un cycle [le cycle nycthéméral (jour-nuit) d’une durée de 24H et lié à la production de testostérone]. C’est beaucoup plus rapide et ils sont moins marqués que nous et nos grandes fluctuations hormonales. Pour l’anecdote, j’observe d’ailleurs que ce sont souvent des hommes qui me contactent. Ils sont plus enclins à écouter sur ces sujets qu’ils connaissent peu, contrairement à certaines femmes de 40 ou 50 ans qui me répondent parfois qu’elles ont vécu avec ça jusqu’à maintenant et comprennent moins facilement la nécessité de lever le tabou. Mais au final, ça reste une question de réussir à se mettre à la place de l’autre pour construire un monde autrement.

« […] au final, ça reste une question de réussir à se mettre à la place de l’autre pour construire un monde autrement. »

Propos recueillis le 12 juillet 2024.

Question bonus :

Quel est ce livre qui a transformé votre vie ?

C’est Lune Rouge, de Miranda Gray. Il est révolutionnaire mais assez « perché » (rires), je ne pense pas qu’il parle à tout le monde. Pour une première approche, je recommande Kiffe ton cycle de l’autrice française Gaëlle Baldassari. Elle appuie son propos de données scientifiques, notamment sur l’intelligence hormonale et les neuro-sciences.

Crédit Image à la Une : Alexia Leduc