Entrepreneure, leader, chercheuse… Et si on profitait de l’été pour apprendre à connaître les Lyonnaises qui façonnent le monde de demain ? Retrouvez sur CScience « 3 questions à une Lyonnaise d’exception », une mini-série proposée par un mardi sur deux. Cette semaine, rencontre avec Marie Albaret, directrice des relations entreprises au sein d’Ada Tech School.
Marie Albaret est la personne référente pour les relations entre entreprises et élèves du campus lyonnais d’Ada Tech School, une école inclusive qui a pour vocation de féminiser la tech. Ses missions ? Faire grandir le réseau des partenaires pédagogiques, sensibiliser les entreprises à la démarche inclusive de l’école, ou encore trouver des financements pour lever les barrières à l’entrée des profils issus de la diversité formés sur le campus.
Alors qu’aujourd’hui en France, seulement 10 % des élèves en formation tech et informatique sont des femmes, Ada Tech School œuvre pour un monde où la technologie est plus créative, plus humaine et surtout plus féminine. Elle entend casser les codes avec une pédagogie issue de six ans de recherche qui favorise la collaboration, l’émancipation et la confiance en soi. Depuis 2019, 450 apprenantes et apprenants sont passés par les bancs d’Ada Tech School. Marie Albaret revient sur cinq années d’approche innovante et inclusive de l’école.
CScience : Marie, votre objectif au quotidien est d’apporter plus de diversité dans les métiers de la tech. Qu’est-ce qui vous a amenée dans cette voie ?
Marie Albaret : J’ai passé plus de dix ans dans le recrutement à ma sortie d’études, d’abord en cabinet, puis au sein d’une structure qui facilitait le recrutement des jeunes grâce à un outil digital. J’étais en contact permanent avec des services de ressources humaines qui cherchaient tous types de profils. Et d’aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu un enjeu de féminisation des équipes. C’était une préoccupation de nos entreprises clientes et on essayait d’y répondre de différentes manières, mais toujours ponctuellement. Je pense notamment aux forums de recrutement Femmes ingénieures. Mais ce n’était pas l’objet de mon entreprise, juste une réponse aux besoins des marchés ! Pendant ces dix années, en parallèle, j’ai approfondi mon féminisme vers une démarche plus intersectionnelle, avec un gros travail personnel de remise en question.
« Et d’aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu un enjeu de féminisation des équipes [dans la tech]. »
Et puis l’élément déclencheur, c’est lorsque que je n’ai pas retrouvé mon poste à la sortie de mon deuxième congé maternité. Dès lors, je me suis promis que mon prochain poste s’alignerait parfaitement avec mes valeurs. J’avais très envie d’aller dans l’éducation, car j’avais une connaissance solide du recrutement, et j’étais passionnée par l’insertion des jeunes – qui constitue pour moi le nerf de la guerre. Alors quand j’ai trouvé l’offre d’Ada Tech School, c’était l’alignement parfait pour moi puisque ça regroupait la question de la diversité, le monde de la tech, l’engagement féministe… Tout en travaillant avec les mêmes interlocuteurs et interlocutrices qu’avant. Je précise que mon entreprise précédente n’était pas mauvaise, ni humainement ni professionnellement parlant, mais j’avais envie de passer d’une entreprise qui ne fait rien de mal à une entreprise qui œuvre concrètement pour le bien social. Et puis dans la semaine, je passe plus de temps au travail qu’auprès de mes enfants, alors autant que ça aille dans le bon sens.
CS : Vous rejoignez Ada Tech School en septembre 2023, la première école d’informatique à la pédagogie inclusive. Comment ça fonctionne concrètement ?
MA : Ada Tech School est une école d’informatique qui vise à former toute personne, sans pré-requis de diplôme ou de compétence technique, à devenir développeuse ou développeur informatique. Au-delà de cette fonction, l’école a une mission sociale qui vise à apporter plus de diversité dans les métiers de la tech. Cela passe entre autres par notre communication, notre pédagogie, ou la manière dont on recrute les personnes. Toutes nos promotions incluent plus de 60 % de femmes – la dernière promotion Ella Shohat [du nom de la professeure israélo-américaine à l’université de New York, spécialiste des études juives-arabes] est composée à 64 % de femmes. Je tiens à le préciser, car c’est important : on travaille sans quota. On ne bloque pas le recrutement des hommes, mais notre communication inclusive attire, de fait, plus de profils féminins. C’est un choix social.
« Je tiens à le préciser, car c’est important : on travaille sans quota. On ne bloque pas le recrutement des hommes, mais notre communication inclusive attire, de fait, plus de profils féminins. »
J’ajouterais aussi qu’on travaille pour toutes formes de diversités. On n’a pas le droit de relever ces chiffres en France, donc c’est dur d’en parler, mais cela fait partie de notre mission sociale. À titre d’exemple, depuis début 2024, Ada Tech School finance 10 % des scolarités, et l’un de mes axes de travail c’est précisément de décrocher encore plus de bourses de la part des entreprises. On travaille actuellement avec Dailymotion et MyBestPro [holding spécialisée dans la tech], et on a deux partenaires à Lyon : Cegid [éditeur de logiciels de gestion] et Infotel [spécialiste dans la transformation digitale des grands comptes]. Et ce n’est que le début, je pense que ça va se démocratiser ! Nous avons beaucoup de profils en reconversion et donc plus matures, des profils capables de prendre en main leur apprentissage. Alors très concrètement, on leur apprend à savoir coder, à être capables d’évoluer et de s’adapter au marché. On leur parle aussi de numérique responsable, pour former des acteurs du monde de demain – même s’il n’y a aucune obligation de se diriger vers une entreprise engagée.
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CS : Avec des promotions composées à 70 % de femmes, vous vous êtes donnée pour mission de rendre la tech plus féminine. En quoi l’approche d’Ada Tech School change le monde ? Et cette approche pouvait-elle être imaginée uniquement par une femme, Chloé Hermary ?
MA : Il faut bien comprendre que le numérique, dans les années à venir, c’est là où il y aura le plus de création d’emplois. C’est aussi là que sont fabriqués tous les outils de demain, qui inondent notre quotidien. Le monde du numérique et les outils qui en découlent façonnent notre avenir, donc le plan c’est de se dire : hors de question que 50% de la population soit maintenue hors de cette sphère ! Par exemple, un de nos plans d’actions s’exerce dans l’IA. On sait que ChatGPT est sexiste, car ses algorithmes se nourrissent de biais sexistes, alors on accompagne des apprenantes dans ce domaine. Le monde du numérique est composé de seulement 35 % de femmes, dont en réalité 25 % sur des postes décisifs de développement des outils. Mais les femmes, on n’est pas une minorité, on est plus de la moitié de la population ! Alors je crois qu’amener des femmes à faire carrière dans la tech, c’est un seul des nombreux axes de travail pour construire un monde meilleur. Ça change pas tout à fait le monde, mais ça change des vies, et c’est déjà pas mal.
« Le monde du numérique et les outils qui en découlent façonnent notre avenir, donc le plan c’est de se dire : hors de question que 50% de la population soit maintenue hors de cette sphère ! »
— Marie Albaret, directrice des relations entreprises au campus lyonnais d’Ada Tech School
Et sur le fait que cette approche puisse être imaginée uniquement par des femmes, j’ai une réponse très personnelle. Je constate que les causes sociales sont majoritairement portées par elles, et pas uniquement pour leurs droits à elles… Alors est-ce qu’il faut faire partie d’un groupe discriminé pour porter des causes sociales ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’Ada Tech School est un projet à la fois socialement et économiquement cohérent. En tant qu’entreprise à mission, on répond aussi à des enjeux économiques. Et même si les diversités de parcours rendent plus difficiles la collaboration, je ne crois pas in fine qu’on puisse être performant en laissant de côté 50 % des cerveaux. D’ailleurs, plein d’études montrent que des équipes mixtes favorisent la créativité et la performance de l’entreprise. Alors cette vision aurait pu être portée par un homme, mais je crois profondément que les enjeux sociaux, et tout ce qu’on appelle le « care » [ou le soin, domaine d’activités et de sentiments historiquement attribué aux femmes], intéresse moins les hommes. D’ailleurs, il n’y en a que deux dans l’équipe d’Ada Tech School [sur 11 personnes au total sur les 3 campus]. Et ce n’est pas qu’on en veut pas (rires), mais j’ai reçu moins de 30 % de candidatures d’hommes. C’est assez révélateur.
Propos recueillis le 30 juillet 2024.
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