L’IA dans la musique, l’incertitude persistante sur les droits d’auteur

L’IA dans la musique, l’incertitude persistante sur les droits d’auteur

L’Intelligence artificielle générative marque de plus en plus sa présence lors de grands évènements et notamment le 21 juin lors de la Fête de la Musique. Si pour certains elle constitue un nouvel instrument de création, pour d’autres, elle suscite encore de nombreuses interrogations, notamment en ce qui attrait à la protection des droits d’auteur. 

Une étude menée et publiée en début d’année 2024 par la Sacem et la Gema indique que 35% des créateurs de musique ont déjà utilisé l’IA dans leur travail et 51% chez les moins de 35 ans. Des statistiques qui démontrent l’essor de l’IA générative sur l’industrie musicale.

Mais l’IA n’est pas seulement utilisée comme un instrument de création, elle peut également créer des œuvres originales ou produire des chansons mimant la voix d’artistes connus.  En 2023, une fausse reprise du morceau « Saiyan » interprété par la chanteuse Angèle a connu un succès important sur les réseaux sociaux, bien que la voix de la chanteuse ait été recréée par une intelligence artificielle. 

Un cadre juridique complexe 

Si l’IA est de plus en plus utilisée, son cadre juridique n’en demeure pas plus simple. Légalement, les créateurs de musiques ont des droits exclusifs de reproduction, de distribution et d’exécution de leurs œuvres. Elles ne peuvent pas être commercialisées ou rendues publiques sans leur autorisation. « Si, une intelligence artificielle utilise une composition musicale protégée, cela pourrait constituer une violation des droits d’auteur du compositeur ou de l’auteur de la chanson », précise Antoine Cheron, avocat au Barreau de Paris. 

Cependant, l’artiste dont la voix a été reproduite dispose également d’une protection.  « Une IA qui reproduit une œuvre en utilisant la voix d’un artiste spécifique, cela pourrait être considéré comme une reproduction non autorisée de son interprétation vocale et constitue une violation de ses droits » continue l’avocat.

« Une IA qui reproduit une œuvre en utilisant la voix d’un artiste spécifique, cela pourrait être considéré comme une reproduction non autorisée de son interprétation vocale et constitue une violation de ses droits » 

– Antoine Cheron, avocat au Barreau de Paris

Mais lorsque l’IA ne s’inspire d’aucun artiste et invente sa propre production, là aussi la question du droit d’auteur demeure compliquée. Les lois actuelles protègent la musique créée par les humains, tandis que L’IA se base sur des algorithmes qui utilisent des modèles d’apprentissage automatique. « Pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur, celle-ci doit remplir le critère d’originalité. Elle se définit comme le résultat d’une création de l’esprit reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur », ajoute Antoine Cheron.

Cependant, une difficulté demeure puisque l’IA ne peut être considérée comme auteur. L’avocat indique: « Il n’y a pas de réponse précise à cette problématique, l’approche envisageable en droit civil serait la théorie de la propriété par accession. Cette théorie rapproche les productions générées par IA de l’accroissement des animaux, des fruits des immeubles ».

Le droit d’opt-out pour protéger les auteurs et compositeurs de musique 

Généralement, les outils de l’IA reposent sur des bases d’entraînement composées de différentes données. Pour protéger ces dernières et ses membres, la Sacem exerce son droit d’opposition (opt-out). Autrement dit, les entités qui utilisent les œuvres de la Sacem pour alimenter leurs bases d’entraînement devront demander une autorisation préalable pour réaliser des activités de fouilles de données (data-mining) .

« Notre but n’est pas d’interdire l’IA, ni de freiner son développement, mais de la rendre plus vertueuse et transparente. Les créations de nos membres ne doivent pas pouvoir être utilisées sans leur accord pour enrichir et entraîner les outils d’IA »

–  Cécile Rap-Veber, Directrice Générale de la Sacem

L’objectif est avant tout de protéger les artistes et créateurs: « Notre but n’est pas d’interdire l’IA, ni de freiner son développement, mais de la rendre plus vertueuse et transparente. Les créations de nos membres ne doivent pas pouvoir être utilisées sans leur accord pour enrichir et entraîner les outils d’IA », précise Cécile Rap-Veber, Directrice Générale de la Sacem. 

IA générative et droit d’auteur : où tracer la ligne ?

Les perspectives légales

En septembre 2023, une proposition de loi ayant pour objectif de soumettre l’IA au droit d’auteur a été déposée par les députés français. Cette dernière vise à mieux protéger les droits des créateurs tout en reconnaissant les capacités innovantes de l’IA, qui peut générer des œuvres autonomes.  L’article 2 de la proposition de loi précise que la titularité des droits appartiendrait « aux auteurs ou ayants droit des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle ». 

À  l’international, les avis divergent, le droit d’auteur ne s’applique qu’aux œuvres qui sont le fruit d’une création humaine et originale: « Le débat sur la titularité des œuvres générées par l’IA est en cours. Certains plaident pour la reconnaissance de l’auteur humain qui utilise l’IA comme outil, tandis que d’autres suggèrent que l’IA elle-même ne peut pas être titulaire de droits »,  précise Antoine Cheron.

« Le débat sur la titularité des œuvres générées par l’IA est en cours. Certains plaident pour la reconnaissance de l’auteur humain qui utilise l’IA comme outil, tandis que d’autres suggèrent que l’IA elle-même ne peut pas être titulaire de droits »

– Antoine Cheron, avocat au Barreau de Paris

Ces nombreuses incertitudes démontrent avant tout la difficulté d’adaptation de la législation aux réalités de l’ère numérique. 

Des playlists musicales personnalisées générées par l’IA

Crédit Image à la Une : Ruan Richard Rodrigues_Unsplash