Aujourd’hui, si les transports, la production d’énergie ou encore la déforestation sont connus pour leur impact climatique, le secteur de la santé reste quant à lui souvent oublié. Pourtant, son empreinte environnementale est conséquente. La production de produits de santé durables constituerait un véritable levier à mettre en place. C’est sur ce sujet que se sont penchés plusieurs experts à l’occasion du Festival de la Santé Mondiale à Lyon, ce mardi 17 décembre.
« Le traitement du VIH, pris à hauteur d’une centaine de milligrammes par jour et consommé par des milliers de personnes, est équivalent à 2.6 millions de tonnes de CO2 », c’est avec ces mots que Marisol Touraine, présidente du Conseil d’Administration d’Unitaid, introduit le sujet.
Un chiffre important mais justifié par plusieurs facteurs comme l’évaporation de résidus dans la nature, leur transport ou encore leur emballage. Cependant, cet impact commence peu à peu à être pris en compte par les différents acteurs de la santé, des solutions émergent, mais restent encore soumises à de nombreux défis.
Une mobilisation des différents acteurs internationaux
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Maria Neira, Chantal Guillaume, Sandrine Bouttier-Stref et Éric d’Ortenzio (de gauche à droite). Crédit photo: Centre de recherche international sur le Cancer
Pour faire face à la pollution carbone du domaine de la santé, différents projets sont menés par les acteurs du secteur. Selon les experts, ces projets reposent avant tout sur l’ambition.
« Il faut être convaincu et vouloir le faire, c’est le premier point. Il y aussi la question de la faisabilité, il s’agit de voir comment avoir un impact », précise Maria Neira, directrice du département Environnement, changement climatique et santé de l’OMS.
Une mobilisation qui implique différents acteurs internationaux, la plateforme « Alliance pour une action transformatrice sur le climat et la santé » (ATACH), illustre cette ambition portée par les États. « 93 pays en font partie, on doit utiliser ces compromis politiques pour rappeler que l’action est possible. Les COPs sont bien, mais on ne peut pas passer notre vie à les organiser », ajoute Maria Neira.
« 93 pays en font partie, on doit utiliser ces compromis politiques pour rappeler que l’action est possible. Les COPs sont bien, mais on ne peut pas passer notre vie à les organiser »
– Maria Neira, directrice du département Environnement, changement climatique et santé de l’OMS
À l’échelle nationale, la France s’engage aussi dans plusieurs projets. « En mai 2023, une feuille de route a été lancée pour réduire de 5% les émissions de gaz à effet de serre liées aux médicaments d’ici 2050 », explique Chantal Guillaume, cheffe du bureau des affaires européennes, internationales et ultra-marines à la Direction Générale de la santé (DGS).
Un engagement important des États, mais pas seulement, les acteurs industriels du secteur pharmaceutique sont aussi impliqués. « On utilise des outils de mesure fiables pour évaluer les ‘hot spots’ sur le cycle de vie. Une fois la mesure effectuée, on agit sur ce cycle, en commençant par la partie manufacturière, en vérifiant si on peut ajuster la température ambiante, le nettoyage etc », précise Sandrine Bouttier Stref, responsable RSE chez Sanofi.
Un accès équitable aux produits durables
Cependant, si le secteur de la santé contribue au changement climatique, ce dernier génère aussi des maladies graves pour l’homme, créant ainsi un véritable cercle vicieux. Bien que de nombreux acteurs se mobilisent pour créer de nouvelles approches plus durables, il faut aussi tenir compte de l’accès à ces produits pour les pays les plus touchés par le réchauffement.
« 20 % des cas de dengue seraient imputables au changement climatique des dernières années. Les facteurs peuvent être l’augmentation des températures et les pluies accrues dans des zones où le moustique peut se reproduire », explique Éric d’Ortenzio, directeur de département stratégie et partenariats ANRS.
« 20 % des cas de dengue seraient imputables au changement climatique des dernières années. Les facteurs peuvent être l’augmentation des températures et les pluies accrues dans des zones où le moustique peut se reproduire »
– Éric d’Ortenzio, directeur de département stratégie et partenariats ANRS
Pour faire face à l’expansion de ces maladies, des projets de recherche sont menés par l’ANRS sur les arbovirus. « Le réseau ArboFrance regroupe une centaine d’experts sur le sujet, et plusieurs appels à projet sont lancés. On mène une collaboration internationale avec des pays partenaires dont la Guinée et le Brésil », ajoute Éric d’Ortenzio.
Des propos faisant échos à ceux prononcés en début de conférence par Oumar Diouhé Bah, ministre de la Santé et de l’Hygiène publique de Guinée : « La République de Guinée n’échappe pas au changement climatique, avec les fortes inondations et les maladies comme le paludisme. Les morsures de serpent sont aussi accentuées par ce dernier, l’approvisionnement reste un défi . »
Encore des défis
Bien que l’impact du secteur de la santé commence progressivement à être pris en compte par les différents acteurs, qu’ils soient institutionnels ou non, des obstacles restent encore à franchir, notamment en matière de sensibilisation. « On doit arriver à la COP avec des systèmes de santé mieux préparés à répondre à ces questions environnementales, on veut que l’argument de santé devienne l’argument de la COP », annonce Maria Neira, directrice du département Environnement, changement climatique et santé de l’OMS.
L’objectif pour les industries est aussi de prolonger la durée de conservation des produits de santé et de redistribuer ceux qui ne sont pas utilisés. Un véritable défi, puisque les médicaments doivent conserver leur efficacité. « La décarbonation ne doit pas se faire au détriment de la qualité des soins. On doit la garder tout en réduisant l’impact carbone », ajoute Maria Neira.
« La décarbonation ne doit pas se faire au détriment de la qualité des soins. On doit la garder tout en réduisant l’impact carbone »
– Maria Neira, directrice du département Environnement, changement climatique et santé de l’OMS
Enfin, au-delà de ces enjeux, les experts soulignent l’importance de la formation des professionnels de santé, qui sont les premiers confrontés à ces changements. « La formation des RH en santé est fondamentale. Il faut former les soignants, les logisticiens et toutes les personnes qui vont agir sur les systèmes de santé avec des outils novateurs, comme ceux digitaux », conclut Dr Luis Pizzaro, directeur executif de la Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDI).
Des propos d’actualité car dans l’après-midi, l’Académie de l’OMS, dédiée à la formation des soignants du monde entier, a été inaugurée par le président de la République, Emmanuel Macron, à Lyon. Objectif: former 16 000 personnes par an.
Pour aller plus loin:
Technologies et mobilisation environnementale pour une meilleure santé durable des aînés
Crédit Image à la Une : Justine Magand