[L’entrevue culi-tech lyonnaise] Une vaisselle silencieuse

[L’entrevue culi-tech lyonnaise] Une vaisselle silencieuse

Ses spécialités culinaires, ses bouchons, ses grands chefs, jusqu’au titre de « capitale mondiale de la gastronomie » attribué par le critique culinaire Curnonsky en 1925…. La réputation de Lyon en matière de gastronomie n’est plus à faire. Cent ans après cette reconnaissance, la cuisine lyonnaise et tout ce qui l’entoure a su se réinventer tout en conservant son authenticité. De la culture des légumes à la vaisselle collective, en passant par la formation des futurs Bocuse et la restauration de bureau, l’innovation lyonnaise révolutionne nos assiettes… parfois même au sens propre.

Pour cette série estivale, CScience est partie à la découverte des solutions technologiques qui font de la capitale des Gaules une ville pionnière dans l’innovation culinaire. Nous avons rencontré cette semaine François Ganachaud, directeur de recherche en chimie et physicochimie des polymères au laboratoire IMP (Ingénierie des matériaux polymères) de l’INSA de Lyon.

Début 2020, en pleine période de pandémie, il est approché par Sophie Moritel, Sébastien Chauvin, et Pierre Busquet, futurs fondateurs de la start-up QUIET. Ils cherchent alors des scientifiques volontaires pour développer une solution de vaisselle silencieuse. Quatre ans plus tard, cette pépite tricolore a levé 370 000 euros et a remporté un prix des Décibels d’Or 2024 pour sa vaisselle trois fois plus solide, deux fois plus légère, et surtout qui réduit de 85 % le bruit dans les cantines et autres espaces de restauration collective. François Ganachaud revient sur cette technologie de rupture qui a vu le jour à Lyon.

CScience : De la vaisselle silencieuse… Comment ça marche concrètement ?

François Ganachaud est directeur de recherche au sein de l’l’INSA de Lyon et a participé au développement de la solution de vaisselle silencieuse. Crédit photo : François Ganachaud

Francois Ganachaud : Il s’agit d’un revêtement collé sous une assiette ou sous un bol qui va amortir le son quand on manipule les assiettes. C’est juste une couche supplémentaire qui ressemble à un film très fin et qu’on met autour de l’assiette, mais pas sur la partie où on mange.

Ce film évite aussi de casser les assiettes en mille morceaux, ou de les faire glisser, ce qui est très pratique quand ce sont des enfants de cinq ans qui les utilisent ! Le point de départ, c’était le son, puis cette solution est venue répondre à une problématique beaucoup plus large. Elle a été développée par trois personnes : une étudiante de l’INSA, un ingénieur de valorisation [chargé de valorisation de la recherche], et moi-même.

« Il s’agit d’un revêtement collé sous une assiette ou sous un bol qui va amortir le son quand on manipule les assiettes. C’est juste une couche supplémentaire qui ressemble à un film très fin et qu’on met autour de l’assiette »

On a dû prendre en compte trois enjeux : il fallait que le film reste bien collé sur l’assiette, car il doit tenir dans un lave-vaisselle à 60 °C, qu’il soit compatible avec de la consommation d’aliments, et qu’il résiste dans le temps, sans se tâcher. Et on a réussi ! D’ailleurs pour l’anecdote, la première série de vaisselle produite par QUIET s’est appelée Jules Verne : un clin d’œil pour nous, car il s’agit du nom de notre bâtiment à l’INSA de Lyon. 

CS : La start-up QUIET est implantée à Talence, près de Bordeaux. Pourquoi leur technologie de rupture est née à Lyon ?

FG : Ils sont venus chez nous parce qu’on les a bien accueillis (rires) ! Plus sérieusement, nous à l’IMP de l’INSA, on est des experts des élastomères, des « plastiques mous » en quelque sorte. On est des spécialistes de ce type de plastique à Lyon. L’histoire, c’est que d’habitude, on fait payer les entreprises qui intègrent nos projets de fin d’études (PFE) à l’INSA.

Mais cette année-là, en 2020, on avait décidé que toutes les start-up intéressées pouvaient venir nous voir et bénéficier de cette aide au développement de leur projet gratuitement. Je me souviens très bien. Ils sont venus nous voir plein d’humilité en nous disant : « Je sais pas si vous vous pensez qu’il y a moyen qu’on essaie de… » Mais nous on a trouvé ça génial, je trouvais ça intelligent, et marrant ! Il y avait une vraie idée derrière, et une idée simple surtout.

Même si la réalisation est plus compliquée derrière, je crois que les concepts comme ça, très simples au départ, sont souvent les plus accrocheurs ensuite. Alors pendant six mois, on a fait des recherches pour définir qu’est-ce qui est le mieux pour eux. Ils ont sollicité d’autres laboratoires, mais c’est finalement vers nous qu’ils sont revenus, car c’est ce qui leur allait le mieux.

« Ils sont venus nous voir plein d’humilité en nous disant : “Je sais pas si vous vous pensez qu’il y a moyen qu’on essaie de…” Mais nous on a trouvé ça génial, je trouvais ça intelligent, et marrant ! »

Sophie Moritel et Sébastien Chauvin ont co-fondé la start-up deeptech QUIET en 2021. Crédit photo : QUIET

Depuis, ils nous tenaient au courant régulièrement de leurs avancées. Et on même pu les voir dernièrement ! J’ai appris d’ailleurs qu’ils souhaitent passer à une étape supérieure : imaginer un recyclage de leur vaisselle. Aujourd’hui, leur modèle réside dans de la location de vaisselle pour des collectivités ou des grands groupes, mais quand ils récupèrent les bols et les assiettes, ils ne peuvent pas encore les recycler.

Le problème, c’est que c’est compliqué à mettre en place, car il y a du verre trempé et de l’élastomère, et le film est tellement bien collé grâce à notre technologie. Ils passeront peut-être par nous pour le développer, mais il y a un enjeu de budget.

En tout cas, je pense que s’ils arrivent à faire une production constante et de bonne qualité, ce modèle va marcher. Et j’ai l’impression qu’ils découvrent toujours plus de nouvelles opportunités. Au départ, ils allaient dans des cantines scolaires pour faire des essais en direct avec des enfants, pour voir comment ça se passait et avoir le ressenti à la fois des élèves et des adultes. Depuis, je sais qu’ils ont eu des touches avec des restaurants parisiens, mais aussi dans le milieu de la navigation et du camping-car !

CS : Où se trouve l’innovation exactement dans ces assiettes silencieuses ?

FG : Il faut savoir qu’en recherche, la première chose qu’on fait, c’est regarder dans les brevets si la technologie existe déjà. Sinon, ça sert à rien. Pour la vaisselle silencieuse, on a trouvé un très vieux brevet dans le domaine public, mais peu efficace, et puis il y a IKEA qui avait proposé une assiette anti-dérapante. Il y avait juste un petit cordon de plastique, une sorte de petit boudin au dos de l’assiette, mais que la chaîne a très vite arrêté car tout le monde était tenté d’enlever ce petit cordon, petits et grands.

« Mais nous ce qu’on a développé partait de produits industriels qui existaient déjà, on a travaillé uniquement sur l’histoire d’adhésion entre les assiettes et les matériaux. Alors ils ont breveté la technique qu’ils ont mise au point pour se protéger un peu.  »

QUIET a senti qu’il y avait une opportunité. Ils étaient surtout intéressés par une solution anti-bruit, car ils ont tous plus ou moins côtoyé l’industrie de la restauration collective. Donc l’innovation, elle est là, dans la fonctionnalité silencieuse. Mais nous ce qu’on a développé partait de produits industriels qui existaient déjà, on a travaillé uniquement sur l’histoire d’adhésion entre les assiettes et les matériaux. Alors ils ont breveté la technique qu’ils ont mise au point pour se protéger un peu. Elle fonctionne avec une machine automatisée et un moule qui permet de coller le plastique sur l’assiette. 

CS : Une gamme de vaisselle silencieuse en restauration collective, en quoi ça révolutionne nos assiettes, au sens propre comme au sens figuré ?

FG : Je ne sais pas si on peut parler de révolution, ou d’un « avant après », mais ce qui est sûr c’est qu’il y a un intérêt. Pourquoi ? Parce que les avantages sont multiples. Il y a le point de départ, qui est de soulager les oreilles des personnes qui travaillent. Il y a le fait d’éviter de passer le balai dans toute la pièce quand une assiette se casse. Il y a l’histoire qu’il y a moins de bruit dans la pièce où les gens mangent. Il y a l’intérêt de l’anti-glissant… Donc il y a un concept novateur, après il faut que ça se développe, et surtout passer l’étape d’industrialisation, car souvent c’est là où ça pêche.

« Il y a le point de départ, qui est de soulager les oreilles des personnes qui travaillent. Il y a le fait d’éviter de passer le balai dans toute la pièce quand une assiette se casse. Il y a l’histoire qu’il y a moins de bruit dans la pièce où les gens mangent. Il y a l’intérêt de l’anti-glissant… Donc il y a un concept novateur »

Ici, le prix est suffisamment bas pour que ça fonctionne, et pour les grands établissements où il y a beaucoup de monde, c’est vraiment intéressant. D’ailleurs, ce qui est drôle, c’est qu’ils sont partis d’un verre trempé, au plus bas prix possible, car le film est relativement cher : il triple le prix de l’assiette. C’est un antagonisme entre le côté « cheap » de l’assiette d’origine, et ce qu’ils en font à la fin, à savoir un produit à haute valeur ajoutée. J’ajouterais que c’est une production complexe, la vaisselle n’est pas toujours de la même taille, n’a pas le même rebondi… Alors pour la révolution de nos assiettes, on verra dans deux ou trois ans.

Propos recueillis le 6 août 2024.

L’entrevue culi-tech précédente :

[L’entrevue culi-tech lyonnaise] Un centre de recherche pour l’alimentation de demain

Crédit Image à la Une : Concours des Décibels d’Or