[L’entrevue culi-tech lyonnaise] Un centre de recherche pour l’alimentation de demain

[L’entrevue culi-tech lyonnaise] Un centre de recherche pour l’alimentation de demain

Ses spécialités culinaires, ses bouchons, ses grands chefs, jusqu’au titre de « capitale mondiale de la gastronomie » attribué par le critique culinaire Curnonsky en 1925… La réputation de Lyon en matière de gastronomie n’est plus à faire. Cent ans après cette reconnaissance, la cuisine lyonnaise et tout ce qui l’entoure a su se réinventer tout en conservant son authenticité. De la culture des légumes à la vaisselle collective, en passant par la formation des futurs Bocuse et la restauration de bureau, l’innovation lyonnaise révolutionne nos assiettes… avec une école et un centre de recherche dédiés à l’alimentation de demain.

Pour cette série estivale, la journaliste Laurie Bruno part à la découverte de solutions technologiques qui font de la capitale des Gaules une ville pionnière dans l’innovation culinaire. Rencontre avec Estelle Petit, responsable de l’innovation au sein de l’Institut LYFE depuis maintenant sept ans. Elle revient sur la pédagogie innovante de l’institut, avec pas moins de 14 lieux d’applications sur le campus, et le rôle du Centre de recherche et d’innovation implanté en plein cœur de l’école, qui travaille sur les recettes du futur.

Entrevue : Estelle Petit

Qu’est-ce que l’Institut LYFE exactement ?

L’Institut LYFE, c’est avant tout une école d’enseignement supérieur implantée à Écully, dans l’Ouest lyonnais, qui prépare ses étudiants au management dans les métiers de l’hôtellerie, de la restauration, de la pâtisserie et des arts culinaires. Déjà 1 200 personnes de 72 nationalités différentes ont été formées sur nos dix campus internationaux, à travers une pédagogie collaborative et expérientielle tournée vers les enjeux de demain. Ça se concrétise par plusieurs lieux d’application sur le campus, comme des laboratoires de cuisine, des hôtels, des restaurants, des salles modulables, mais surtout un Centre de recherche et d’innovation qui vient nourrir nos contenus pédagogiques. Je précise aussi que l’Institut LYFE, dont l’acronyme signifie « Lyon For Education, Excellence, Expertise, Exploration », c’est simplement le nouveau nom de l’Institut Paul Bocuse, qui existe depuis 1990. On tenait d’ailleurs au « Y », qui fait référence à la confluence de nos deux fleuves.

Justement, vous semblez fière de votre ancrage à Lyon, ville de naissance de vos deux fondateurs, Paul Bocuse et Gérard Pélisson. Pourquoi Lyon est le territoire idéal pour former les chefs de demain ? 

Lyon, c’est avant tout la capitale de la gastronomie [la ville compte 4 300 restaurants dont 15 étoilés]. Elle est même inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO !

Le Centre de recherche et d’innovation est implanté au sein du campus de l’Institut LYFE, à Écully. Crédit photo : François Fleury

Alors forcément, ça permet d’offrir un cadre de vie unique à nos étudiants, à nos doctorants, et à notre personnel. À Lyon, on est riches de notre réseau autour de l’alimentation, avec beaucoup de partenaires privés et publics qui permettent de faire circuler nos savoir-faire et nos connaissances entre apprenants, professionnels, et consommateurs. On est très lié à Lyon.

On a par exemple un programme de chaire partenariale appelé « TrALIM», pour « transition alimentaire », porté à la fois par l’Université Lyon 2 et par notre Centre de recherche et d’innovation, et plus particulièrement notre équipe du pôle sciences sociales. Au Centre, on développe également par l’alimentation toute une nouvelle gamme d’offres à destination des patients. Il y a le programme CANUT, un consortium de neuf partenaires, dont les HCL [Hospices Civiles de Lyon], porté par le pôle sciences de la nutrition. C’est un programme qui vise à mieux comprendre la perception des comportements alimentaires induits par la chimiothérapie pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de cancer. Il se concrétise sous forme de guides par exemple. On va aussi travailler auprès de professionnels de santé pour des personnes atteintes d’insuffisances rénales ou de diabète. 

« À Lyon, on est riches de notre réseau autour de l’alimentation, avec beaucoup de partenaires privés et publics qui permettent de faire circuler nos savoir-faire et nos connaissances entre apprenants, professionnels, et consommateurs. »

Vous revendiquez un environnement d’application unique au monde pour vos apprenants. Mais en quoi l’Institut LYFE est innovant concrètement ? 

L’approche pédagogique de l’école est innovante, selon moi, car elle est centrée à la fois sur le management de projets et sur la révélation de talents. C’est une école basée sur l‘humain, où l’on va faire attention aux étudiants, à leurs aspirations, et à leurs projets professionnels, avec des cursus très diversifiés. Notre méthode est aussi centrée sur l’esprit entrepreneurial et la créativité, avec la méthode du « learning by doing » [apprentissage par la pratique]. On passe rapidement de la théorie à la pratique et la mise en situation professionnelle, car notre campus s’y prête parfaitement. On regroupe plusieurs infrastructures, comme une salle immersive multisensorielle [capable de projeter des images 3D interactives avec interactions sensorielles et vision 360° autour des utilisateurs, et de diffuser du son, de l’air chaud ou froid, de la brumisation, des odeurs], mais aussi des restaurants d’application, dont un étoilé, Saisons, pour allier la théorie à la pratique face à une clientèle externe.

« On regroupe plusieurs infrastructures, comme une salle immersive multisensorielle [capable de projeter des images 3D interactives avec interactions sensorielles et vision 360° autour des utilisateurs, et de diffuser du son, de l’air chaud ou froid, de la brumisation, des odeurs], mais aussi des restaurants d’application, dont un étoilé, Saisons, pour allier la théorie à la pratique face à une clientèle externe. »

Le pôle innovation du centre de recherche dispose d’une salle multisensorielle pour tester les recettes de demain dans un environnement immersif. Crédit photo : Institut LYFE

Et il y a bien sûr le Centre de recherche et d’innovation, implanté au cœur du campus. Il a été créé en 2008 avec l’ambition de relever le défi d’une alimentation goûteuse, saine et durable pour toutes et tous. Moi je suis en charge du pôle d’innovation, l’une des deux branches du centre, bien que la plupart de nos projets soient hybrides et transversaux [avec le pôle sciences]. Mon pôle accueille aussi quelques start-up et des étudiants ingénieurs dans l’agroalimentaire, qu’on peut accompagner dans leur démarche d’innovation-produit au sein de nos deux grands axes opérationnels, « Cook » et « User Experience » [le culinaire et l’expérience de l’utilisateur].

On publie des études et on met en place des missions conjointes avec des experts de l’école, tels que des mixologues, des chefs, des sommeliers, des experts dans l’art de la table… Notre objectif, c’est de développer une nouvelle offre pour l’alimentation de demain en fonction du cahier des charges des clients. On travaille beaucoup, par exemple, sur les légumineuses et les céréales, pour accompagner les grands chefs dans la végétalisation de leurs recettes. On fournit des conseils aux professionnels de la restauration, mais aussi aux consommateurs. Ça passe notamment par l’utilisation de nos infrastructures pour leur fournir une expérience unique et ainsi contribuer à créer avec eux une nouvelle alimentation.

Le centre de recherche a mis au point des recettes à base de céréales secondaires, comme ici l’orge au lait. Crédit photo : Institut LYFE

Comment votre travail au Centre de recherche et d’innovation de l’Institut LYFE révolutionne nos assiettes ?

On a plein de projets actuellement portés par des doctorants, ou des projets plus appliqués en transfert de connaissances scientifiques à impact sociétal. En termes de mots-clés, on va travailler sur les produits fermentés, les algues et les microalgues, la famille des champignons, les légumineuses, ou encore les céréales secondaires. Je précise qu’on parle de céréales secondaires, car ce sont des céréales oubliées au profit du blé, telles que le triticale, le sorgho, le millet, ou l’orge. On va s’intéresser également à un public en particulier.

Le pôle de sciences cognitives a par exemple pu travailler avec un post-doctorant, Damien Foinant, qui s’intéresse à la néophobie (ou sélectivité) alimentaire. On a pu mettre en place avec lui une exposition temporaire à la Cité Internationale de la Gastronomie de Lyon qu’on a appelée « Fan de Carottes », à destination des familles, pour mieux comprendre les rejets alimentaires des jeunes enfants. On a aussi animé une conférence avec la ville de Lyon sur ce thème, dans le cadre de la Journée de l’alimentation saine et durable le 15 mai dernier, et on a pu mettre en place un atelier culinaire pour montrer qu’on peut faire consommer de manière ludique.

« En termes de mots-clés, on va travailler sur les produits fermentés, les algues et les microalgues, la famille des champignons, les légumineuses, ou encore les céréales secondaires. »

Avez-vous un exemple concret de projet innovant à nous partager ?

De manière générale, je dirais qu’on s’intéresse à des tendances. C’est difficile de trouver un exemple spécifique, car les projets sont souvent confidentiels, ce qui complique la valorisation des résultats de nos travaux. Mais je me souviens qu’on a travaillé sur un projet soutenu par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, qui nous a permis de valoriser les céréales secondaires. On a mis en avant une recette sous trois volets – les avantages et les inconvénients environnementaux, les bénéfices sur le plan nutritionnel, et la veille de produit au niveau mondial. Ce projet a été mené avec une petite entreprise de la région qui distribue de l’orge, en valorisant leurs recettes d’orge perlée dans des recettes à la fois salées et sucrées. Un délice !

Propos recueillis le 7 août 2024.

L’entrevue culi-tech précédente :

[L’entrevue culi-tech lyonnaise] Un frigo connecté au bureau

Crédit Image à la Une : Institut LYFE