La nomination d’Elon Musk à la tête du département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE, Department of Government Efficiency en anglais) soulève des inquiétudes quant à l’influence croissante des géants de la tech sur le débat démocratique. Depuis son acquisition de X, Musk a été critiqué pour sa gestion polarisante de la plateforme, qui exacerbe les divisions politiques. Cette initiative pourrait ainsi refléter une approche similaire, transformant le gouvernement américain en un laboratoire d’expérimentations managériales au détriment de l’équilibre démocratique.
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Le 47e président des États-Unis a nommé Elon Musk à la tête d’une nouvelle initiative de son administration : le DOGE. Quoi attendre de ce projet? Comment pourrait-il transformer le gouvernement américain? Et quels bénéfices l’homme le plus riche du monde pourrait-il en tirer?
Réduire, déréguler, restructurer : tels sont les principaux objectifs du DOGE, qui devrait prendre effet en janvier prochain. Le nouveau département – dont l’acronyme fait un clin d’oeil au Dogecoin, la cryptomonnaie soutenue par Elon Musk – aura pour but de « supprimer les réglementations excessives, réduire les dépenses inutiles et restructurer les agences fédérales ». Le tout, explique Trump dans un communiqué publié sur Truth Social, dans l’optique de « créer une approche entrepreneuriale jamais vue auparavant » au gouvernement américain.
Elon Musk a indiqué vouloir réduire 75 % le nombre d’employés fédéraux et dissoudre plusieurs agences gouvernementales comme le FBI
En effet, ni Elon Musk, ni Vivek Ramaswamy, les deux milliardaires à la tête de l’ambitieux projet, n’ont de l’expérience gouvernementale. Ce qui ne semble pas freiner leurs ambitions, bien au contraire.
Fier de sa réputation de « grand coupeur », ouvertement allergique aux syndicats, le fondateur de SpaceX et Tesla a suggéré de réduire les dépenses fédérales de 2 000 milliards de dollars, soit près d’un tiers des dépenses actuelles. Ramaswamy va encore plus loin : l’ex-candidat aux primaires présidentielles du Parti républicain a déjà indiqué vouloir réduire de 75 % le nombre d’employés fédéraux et dissoudre plusieurs agences gouvernementales comme le FBI, les Centres de contrôle et de prévention des maladies, ou encore le ministère de l’Éducation.
Quels seront les pouvoirs accordés à ce département?
Il est difficile de prévoir l’ampleur des pouvoirs qui seront accordés à Musk et Ramaswamy au moment de la mise en marche du DOGE. Étant donné que sa création n’a pas été approuvée par le Congrès, il opérera en dehors du cadre gouvernemental. Cependant, il pourrait être contraint de fonctionner sous le Federal Advisory Committee Act, qui régit le fonctionnement et la responsabilité des groupes externes conseillant le gouvernement.
Bien que l’autorité directe de Musk sur les affaires gouvernementales sera nécessairement limitée par son statut d’outsider, le DOGE pourrait toutefois exercer un pouvoir d’influence majeur sur le gouvernement, indique le New York Times, qui rappelle le rôle de conseiller de premier plan que joue déjà Musk auprès de Trump, parfois bien au-delà de la question des enjeux budgétaires.
Une approche radicale, transposée au gouvernement?
Bien qu’il soit impossible pour l’heure de savoir si Musk obtiendra la marge de manœuvre nécessaire pour appliquer son style managérial au gouvernement américain, revisiter ses agissements dans le secteur privé permet d’avoir un avant-goût de ce qui pourrait se dérouler au DOGE.
Celui qui « coupe trop, plutôt que trop peu », aux dires de ses employés actuels et passés, est réputé pour sa « brutale insensibilité » dans ses décisions budgétaires, qui peuvent aller à l’encontre des procédures corporatives, voire de la sécurité des produits qu’il lance sur le marché.
Pour compenser la désertion des principaux annonceurs de sa plateforme jugée trop toxique, Musk a procédé à des licenciements massifs.
Si l’extrême frugalité de Musk a été en partie créditée pour le succès de ses compagnies Tesla et SpaceX, c’est en particulier lors des licenciements massifs suivant son acquisition de la plateforme X (anciennement Twitter) qu’a été révélée son approche radicale. Une démarche parfois « douloureuse », a admis Musk, mais qui aurait selon lui permis de garder le réseau social à flots alors que ses principaux annonceurs avaient mis sur pause leur collaboration avec la plateforme, jugée trop toxique.
Le DOGE: pour les Américains ou ses élites?
À l’égard d’autres nominations au sein de l’administration Trump, celle de Musk à la tête du DOGE fait sourciller.
Selon Larry Summers, ancien secrétaire du Trésor des États-Unis, les ambitions de Musk pourraient être freinées par la maigre marge de manœuvre existante pour réduire le gaspillage fédéral. L’économiste Glenn Hubbard va encore plus loin en affirmant qu’« il est mathématiquement impossible de trouver 2 000 milliards de dollars » à couper dans les dépenses du gouvernement américain.
La nomination met également en lumière le spectre de nombreux conflits d’intérêts. En effet, Musk, qui détient plusieurs contrats très lucratifs avec le gouvernement américain dans le secteur de la défense et du renseignement notamment, ne sera pas tenu, contrairement aux employés gouvernementaux, de divulguer ses actifs, ni de se « défaire de toute participation significative liée à son travail », rappelle The Guardian. Sa nomination pourrait également enclencher la dérégulation d’industries importantes pour les affaires de Musk, ainsi que « profiter à la valeur marchande de ses entreprises et à des activités privilégiées, telles que l’intelligence artificielle et les crypto-monnaies ». Un phénomène déjà observable dans le prix du Dogecoin, qui a doublé depuis l’élection de Trump.
Si l’initiative suscite son lot de critiques, elle s’inscrit à l’intérieur d’une préoccupation importante pour les électeurs américains : l’économie et les dépenses gouvernementales. Musk s’est d’ailleurs engagé à documenter en ligne toutes les actions de son département afin d’en assurer sa « transparence maximale ». Mais les critiques mettent en garde contre les nouveaux pouvoirs conférés à Musk. Pour Everett Kelley, président national de la Fédération américaine des employés du gouvernement, « Elon Musk et Donald Trump ne s’intéressent qu’à une chose : se remplir les poches. Pas l’efficacité du gouvernement, et certainement pas l’amélioration de la situation des Américains ordinaires ».
Crédit Image à la Une : Archives/Unsplash