La première application dédiée à la santé mentale des jeunes dresse un constat alarmant

La première application dédiée à la santé mentale des jeunes dresse un constat alarmant

Un jeune sur trois en risque de détresse modéré à sévère en France. C’est l’état des lieux inquiétant que dresse Mentalo, une étude nationale portée par l’Inserm sur le bien-être mental des 11-24 ans. Lancée en mai 2024, elle vise à déployer une application de prévention pour la santé mentale des jeunes. Karine Chevreul, professeure de santé publique et responsable de l’étude, a répondu à nos questions.

L’histoire de l’étude Mentalo commence dix ans plus tôt. En 2015, une équipe de recherche de l’établissement public Inserm dirigée par Karine Chevreul lance StopBlues, une application pour prévenir le mal-être du grand public. « On s’est rendu compte que beaucoup de 18-24 ans sont venus sans trouver de réponse à leurs préoccupations » se remémore la spécialiste de santé publique.

Son équipe décide alors de s’intéresser à ce jeune public et obtient un financement du ministère de la Santé pour développer une autre solution. Un choix judicieux, car l’épidémie mondiale de Covid-19 va profondément aggraver le mal-être mental des jeunes. « À la sortie du Covid, on s’est tous dit : comment ça a dérapé ? » souligne gravement Karine Chevreul. L’enjeu est alors de comprendre quelles sont leurs préoccupations, et comment elles fluctuent dans le temps. C’est la naissance de Mentalo.

« À la sortie du Covid, on s’est tous dit : comment ça a dérapé ? »

— Karine Chevreul, professeure de santé publique et responsable de l’étude Mentalo

Une étude numérique ludique co-construite avec les jeunes

Karine Chevreul, membre du collège de la Haute Autorité de Santé, dirige l’équipe de recherche de l’étude Mentalo. Crédit photo : Karine Chevreul

Mentalo est une étude digitale lancée partout en France en mai 2024, dont l’objectif est d’obtenir « une photographie du bien-être mental des jeunes » souligne Karine Chevreul.

Le principe est simple : dès inscription sur l’application, le jeune participant répond à un questionnaire d’environ cinq minutes. Ces questions lui sont à nouveau posées quinze jours après, puis un mois, trois mois, six mois, neuf mois et un an plus tard. « C’est un outil pour prendre des nouvelles, et le seul moyen de les impliquer pendant un an » résume la responsable de l’étude, pour qui le format application mobile était idéal pour cette tranche d’âge.

Mais pour développer une application qui parle vraiment aux jeunes, l’équipe de l’Inserm a poussé plus loin. Deux adolescents de 11 et 18 ans ont intégré l’unité de recherche pendant quelques semaines pour co-construire le questionnaire, le logo, le nom… Une collaboration qui explique les questions simplifiées sur l’application comme « En général, comment tu te sens mentalement ? », loin des termes cliniques plus complexes, ou un logo « qui ressemble à une marque de bar de plage » sourit Karine Chevreul.

L’application se veut également ludique, avec un parcours sur un an modélisé telle une montagne à gravir, qui s’éclaire à mesure que l’on fait la lumière sur sa propre santé mentale. Grâce à des partenariats avec des logiciels d’apprentissage de musique, des applications de livre audio, et bientôt des places pour des événements sportifs, les participants peuvent transformer les points gagnés dans le jeu en activité ludique.

Des préoccupations sur l’avenir, l’orientation et la réussite scolaire

Cinq mois après son lancement, les premiers résultats ont été révélés il y a quelques jours, dans le cadre de la journée mondiale de la santé mentale. Et avec un tiers des jeunes en risque de détresse modéré à sévère, les conclusions sont alarmantes. L’étude a avant tout mis en lumière des préoccupations quant à leur avenir scolaire et professionnel.

90 % des répondants déclarent ressentir une pression à la réussite scolaire, dont près de la moitié « une pression importante », et 70 % indiquent que la façon dont est décidée leur orientation – notamment la plateforme Parcoursup – génère du stress. « Dans la deuxième strate, de façon étonnante, on voit que la politique, l’écologie, et la situation du monde en général les préoccupent » déplore Karine Chevreul, rappelant que ces préoccupations étaient quasiment inexistantes chez les générations précédentes.

« Dans la deuxième strate, de façon étonnante, on voit que la politique, l’écologie, et la situation du monde en général les préoccupent »

— Karine Chevreul, professeure de santé publique et responsable de l’étude Mentalo

Autre symptôme propre à cette génération, la solitude. « Près d’un répondant sur deux déclare se sentir seul, et ces jeunes présentent trois fois et demie plus de risque de détresse sévère » constate l’experte en santé publique. Sans surprise, l’étude permet d’établir un lien direct entre utilisation des écrans et mal-être mental. Un quart des répondants passe plus de cinq heures par jour sur les écrans, hors étude ou travail, et ce quart a deux fois plus de risque de présenter une détresse mentale sévère. Six mois après le lancement, 3 600 jeunes ont participé à l’étude. « On espère atteindre les 50 000 participations d’ici mai 2025 » avance Karine Chevreul.

Mental +, une application de prévention en cours de développement

L’application Mentalo propose du contenu ludique qui contribue à la recherche sur le bien-être mental des 11-24 ans. Crédit image : Mentalo

Au-delà de dresser un panorama du bien-être psychologique des plus jeunes, l’objectif final de cette grande enquête numérique est de développer un outil adapté à leurs besoins, pour qu’ils puissent s’emparer de leur propre santé mentale. « Elle s’appellera Mental +, car on transforme le 0 en + » souligne Karine Chevreul.

L’équipe de recherche est aujourd’hui composée d’experts de tout horizon – sociologues, psychiatres, médecins, ingénieurs, communicants – mais ici encore, le public destinataire de cette application sera convoqué pour sa création. « On va mettre en place des groupes de travail avec des jeunes, pour que ça reste leur projet » insiste la responsable de l’étude. L’application présentera les mêmes traits de « gamification », pour parler santé mentale de manière ludique aux plus jeunes, et les données personnelles seront hébergées sur des serveurs labellisés « Données de santé ».

Mais l’équipe de l’Inserm entend décupler la portée de cette application. « Notre ambition est de sortir de la honte et de la stigmatisation, pour qu’on puisse parler librement de bien-être mental » explique la chercheuse. Si un quart des jeunes qui ne vont pas bien n’en parlent pas – et beaucoup ne savent pas à qui parler, c’est qu’il y a un tabou social à lever. Un défi que l’unité de recherche est prête à relever.

« Je crois profondément qu’on est encore tous dans le déni du mal-être mental des jeunes, et qu’il faut sensibiliser tout le monde, y compris les parents »

— Karine Chevreul, professeure de santé publique et responsable de l’étude Mentalo

L’étude Mentalo a fait l’objet d’une grande campagne de communication, avec des kits de communication à destination de trois publics : les étudiants, les parents, et les professionnels de santé. Les jeunes peuvent aussi devenir ambassadeurs de l’étude Mentalo dans leur collège, lycée, ou établissement d’enseignement supérieur. Une stratégie qui porte ses fruits, car un quart des répondants à l’enquête – et même un jeune sur deux chez les collégiens – se sont inscrits sur recommandation d’un proche. « Je crois profondément qu’on est encore tous dans le déni du mal-être mental des jeunes, et qu’il faut sensibiliser tout le monde, y compris les parents » affirme Karine Chevreul. À ce titre, une nouvelle fonctionnalité vient d’être ouverte pour les curieux, le profil « Je souhaite découvrir », pour permettre à tous de tester l’application.

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Santé durable et technologies : entre vigilance et opportunités

Crédit Image à la Une : Mentalo