Face aux incertitudes, le grand malaise des dirigeants

Face aux incertitudes, le grand malaise des dirigeants

Face aux incertitudes économiques, géostratégiques et politiques, le grand malaise des dirigeants français est palpable en ce début d’année. Quels en sont les symptômes, les conséquences directes, et les potentielles solutions ? Deux cheffes d’entreprise lyonnaises témoignent.

L’année vient tout juste de commencer, mais déjà, les chefs d’entreprises ont le cafard. C’est en tout cas ce que révèle le dernier baromètre trimestriel de Bpifrance le Lab et Rexecode réalisé auprès de 1 050 répondants en octobre dernier. 

Avec une hausse de 5 % par rapport au mois d’août, 56 % des dirigeants de très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) estiment que le contexte de politique économique actuel a un impact négatif fort sur leur activité. Un chiffre inédit, aux conséquences directes : près de la moitié souhaitent reporter leurs investissements, et plus d’un tiers comptent remettre leurs projets d’embauche à plus tard. 

À cela s’ajoute une trésorerie vivement dégradée, dont les perspectives d’évolution pour les prochains mois sont revues à la baisse. Ici encore, 60 % des dirigeants se disent inquiets du repli de la demande, un degré d’anxiété jamais atteint hors période Covid. Des indicateurs particulièrement alarmants qui expliquent le record de dépôts de bilan en 2024.

66 000 dépôts de bilan 

« C’est une année tristement record » soupire Frank Lebel, secrétaire général de la Confédération des petites et moyennes entreprises du Rhône (CPME). 66 000 dépôts de bilan sur 12 mois glissants étaient déjà enregistrés en France fin septembre selon la dernière étude du groupe Altares.

« On risque de dépasser les 70 000 en fin d’année » constate le secrétaire général, rappelant que le dernier record de 65 000 dépôts de bilan remonte à 2014, un effet à long terme de la crise des subprimes. 

« C’est une année tristement record »

— Frank Lebel, secrétaire général de la CPME du Rhône

De l’instabilité politique nationale, aux nouvelles perspectives du marché américain, sans oublier l’actualité géopolitique difficile en Europe et ailleurs, le contexte macroéconomique est un « véritable alignement de lunes noires » selon Frank Lebel pour les petites et moyennes entreprises. Un contexte qui inquiète profondément les dirigeants.

« Ça fait peur »

Julie Berger est la fondatrice de Doux Comptoir, une boutique de vêtements de seconde main. Interrogée sur ses ressentis quant au contexte économique actuel, elle évoque des craintes. « Lorsque tu entends que tout ferme autour de toi, que les commerçants galèrent, que tout le monde te dit que c’est plus comme avant, ça fait peur » souffle-t-elle.

La cheffe d’entreprise explique néanmoins que son activité, en plein essor depuis son lancement deux ans plus tôt et « dans l’air du temps » en ses termes, est moins impactée que d’autres.

À l’inverse, Caroline Faucon, entrepreneuse depuis quinze ans et dirigeante de Baguette à Bicyclette, subit ce contexte de plein fouet. Elle a fait le choix douloureux il y a quelques mois de placer son entreprise en sauvegarde judiciaire.

« Lorsque j’ai commencé à sentir que malgré tous nos efforts, on n’arrivait pas à compenser et que notre chiffre d’affaires était un peu en baisse, j’ai décidé de me faire aider et de passer en sauvegarde. »

« Lorsque j’ai commencé à sentir que malgré tous nos efforts, on n’arrivait pas à compenser et que notre chiffre d’affaires était un peu en baisse, j’ai décidé de me faire aider et de passer en sauvegarde. »

— Caroline Faucon, fondatrice et présidente de Baguette à Bicyclette

Plus largement, elle partage ce sentiment de morosité générale. « En ce moment, j’entends souvent qu’untel est en difficulté, qu’untel ne finira pas l’année… Et je me dis heureusement qu’on sort de l’inflation. » confie-t-elle.

Déclin de la demande

Dans ce contexte, la cheffe d’entreprise a mis en place plusieurs stratégies pour préserver son activité. Licenciement de son commercial, changement de locaux, diversification de son activité… À l’origine, le concept de Baguette à Bicyclette consistait, comme son nom l’indique, à livrer du pain et des viennoiseries à vélo aux entreprises.

Aujourd’hui, le catalogue d’offres s’est étendu aux déjeuners et aux dîners professionnels, avec un véritable service de traiteur. « J’ai été contrainte de me diversifier pour continuer d’exister » confesse Caroline Faucon.

Car l’enjeu essentiel, renforcé par la situation économique actuelle, réside selon elle dans la baisse de la demande. « Aujourd’hui, on me demande de préparer un petit déjeuner pour 200 personnes avec un budget de 500 euros – installation, qualité de service, et transport écologique compris. À ce stade, je leur réponds de commander directement en boulangerie. » lâche-t-elle.

Absence de vision

Au-delà des contraintes de demande, cette conjoncture économique inédite pèse aussi sur les investissements des PME. C’est le cas pour Julie Berger.

La boutique Doux Comptoir est aujourd’hui installée à l’étage d’une bijouterie de la Presqu’île lyonnaise, mais l’objectif pour sa dirigeante est d’avoir ses propres locaux. Un projet pour le moment reporté. « Ouvrir une nouvelle boutique, m’installer dans mes locaux… Le cap de l’investissement sur la durée fait peur » confie-t-elle.

« Ouvrir une nouvelle boutique, m’installer dans mes locaux… Le cap de l’investissement sur la durée fait peur »

— Julie Berger, fondatrice et présidente de Doux Comptoir

Malgré cette impasse, les deux dirigeantes font preuve de résilience. « J’essaye d’être assez détachée. C’est une chance, parce que beaucoup de chefs d’entreprises font d’énormes sacrifices pour leur boîte. J’en ai fait aussi et j’en fais encore, mais je me dis surtout que ce n’est pas le prolongement de ma personne » explique la fondatrice de Baguette à Bicyclette.

Julie Berger, quant à elle, relativise : « C’est compliqué avec tout ce que j’entends, mais au quotidien, moi je crois que ça va. »

« Finalement, il faut accepter de montrer ses faiblesses, et se faire aider » conclut Caroline Faucon. L’accompagnement, un début de réponse, donc, au grand malaise des dirigeants.

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Crédit Image à la Une : Andrea Piacquadio