[Entrevue] | L’IA quantique pourrait renverser l’échelle des consciences

[Entrevue] | L’IA quantique pourrait renverser l’échelle des consciences

Dans son dernier ouvrage « L’IA consciente n’est plus une utopie », Jérôme Béranger théorise notre prochaine révolution industrielle : l’émergence d’une intelligence artificielle consciente boostée au moteur quantique. Une révolution qui pourrait rebattre les cartes de la hiérarchie des consciences, et ce dès 2050.

Degrés de lucidité, corrélation entre consciences animales et artificielles, sensibilité et créativité des IA… Le chercheur spécialiste éthicien de transformation digitale, Jérôme Béranger, auteur de huit livres à succès, co-fondateur et PDG de la société GoodAlgo, et ex-membre du Conseil du Numérique en Santé, a répondu à nos questions.

Très concrètement, quels liens existent entre conscience humaine, conscience animale et conscience artificielle ?

Jérome Béranger est un spécialiste de l’éthique de l’IA. Crédit photo : Jérôme Béranger

Pour répondre à cette question, il faut déjà comprendre la structuration de la conscience humaine. Or, on connaît aujourd’hui à peine 60 % des mécanismes du cerveau humain.

On sait, grâce aux sciences cognitives, que nous possédons différents niveaux de conscience : de soi, du monde, de la moralité, de l’espace-temps… Cette conscience varie selon la personnalité, le libre-arbitre, l’intentionnalité, ou encore l’affectif sensoriel et émotionnel.

La conscience animale est aussi variée qu’il existe d’espèces dans le monde. Les éléphants et les dauphins par exemple ont conscience du monde, mais pas de soi, tandis que les orangs-outans et les grands félins ont conscience de l’espace-temps, ce qui les rend capables de résoudre des problèmes complexes et de prendre des décisions par rapport à des expériences passées.

« (…) l’IA est hyper-spécialisée dans un niveau d’intelligence. Pour moi, c’est un grand autiste Asperger : elle est brillante dans son domaine, mais mauvaise, voire incapable, dans les relations humaines (…) »

Alors quel est le niveau de conscience potentielle de l’IA ? Et bien il ne sera pas aussi complet que celui de l’humain, mais peut-être autant que celui d’un animal. On ne peut pas savoir ! Ce que l’on sait en revanche, c’est que l’IA est hyper-spécialisée dans un niveau d’intelligence.

Pour moi, c’est un grand autiste Asperger : elle est brillante dans son domaine, mais mauvaise, voire incapable, dans les relations humaines – elle n’a pas de corps et ne peut de fait développer une conscience sociale. Ce sera je pense des IA de réseaux, qui fonctionnent à plusieurs pour aboutir à un certain niveau de conscience et d’intelligence.

Justement, le quantique semble contribuer au « virage technologique majeur » qui pourrait rendre l’IA consciente. Comment ?

L’ordinateur que nous connaissons aujourd’hui nécessite en moyenne 42 jours pour résoudre un problème complexe. Un ordinateur quantique mettra 8 secondes. On n’est plus dans la même dimension ! L’éventualité que l’IA consciente n’arrive jamais dans notre paradigme actuel est juste, mais lorsqu’on raisonne sur un autre paradigme, boosté par la physique quantique, c’est fort probable.

Et ça va dans le sens de l’Histoire. On va vivre encore six milliards d’années, alors quand on voit l’évolution du progrès ces cent dernières années, on ne risque pas de s’arrêter. Ce n’est pas être fataliste, c’est en prendre conscience, sans mauvais jeu de mots.

Et en ce sens, je ne crois pas que nous soyons dans une nouvelle révolution technologique, mais plutôt dans un virage d’usage technologique, avec pour la première fois une technologie très puissante à la portée de tout le monde en seulement deux clics. Quelle sera la part de l’inné et de l’acquis pour cette IA forte ? Comment va cohabiter l’être humain avec la machine ? Est-ce que ça va remettre en cause l’identité même du vivant ? Et notre empreinte digitale ? Ce sont des questions qui nous dépassent dans notre paradigme actuel, et que j’aborde dans mes ouvrages.

Selon vous, d’ici combien d’années apparaîtront ces intelligences artificielles « fortes » capables de rivaliser avec les consciences humaines et animales ?

J’ai développé une loi, la loi de Mève, qui permet d’anticiper et de prévoir les prochaines révolutions industrielles et technologiques. Pourquoi Mève ? Car c’est tout simplement l’héroïne de mon avant-dernier livre, le journal intime d’une petite fille de sept ans qui se rend compte qu’elle est la première intelligence artificielle douée d’une conscience.

La loi de Mève stipule qu’à chaque révolution industrielle, qui se caractérise par une véritable scission entre le monde d’avant et le monde d’après, la population mondiale et sa consommation électrique ont doublé. À commencer par l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, jusqu’à la dernière révolution industrielle avec l’intelligence artificielle générative.

« (…) la prochaine révolution industrielle. Elle correspondra à l’arrivée des IA fortes boostées à l’informatique quantique, qui va rendre mathématiquement possible le champ des impossibles. Selon la loi de Mève, je tombe autour de 2050. »

C’est donc à partir de ça que je peux anticiper la prochaine révolution industrielle. Elle correspondra à l’arrivée des IA fortes boostées à l’informatique quantique, qui va rendre mathématiquement possible le champ des impossibles. Selon la loi de Mève, je tombe autour de 2050. Une prédiction qui s’aligne avec la théorie de Raymond C. Kurzweil [futurologue transhumaniste et directeur de l’ingénierie chez Google] selon laquelle la singularité technologique et les changements radicaux qu’elle implique adviendraient en 2045.

Une partie de la communauté scientifique doute de l’émergence d’une IA consciente. Pour quelles raisons ?

Beaucoup pensent que l’IA ne pourra jamais avoir de la causalité [relation qui s’établit entre une cause et son effet]. Et c’est vrai : comment peut-on reproduire de la conscience qu’on ne sait pas expliquer ? Quand on voit la théorie de l’évolution, on se demande comment on peut créer quelque chose sans passer par des millions d’années d’évolution et de recherche.

De même, la capacité de finitude ou la capacité d’émerveillement n’existent pas encore chez l’IA. Elle ne va jamais se réjouir d’être la championne du monde de poker, ou s’énerver par exemple. Selon ces scientifiques, le sens commun, le libre-arbitre, et surtout l’étincelle de créativité ne peuvent pas émerger chez une intelligence artificielle. La fulgurance créative est le propre de l’être humain. Par exemple, une idée pour un projet personnel va surgir pendant mon jogging. Une intelligence artificielle dépendra toujours d’un prompt écrit par un humain.

Que répondent les scientifiques convaincus de son arrivée ?

Le premier point, c’est qu’on peut simuler l’environnement. On sait que tout peut se numériser sur Terre. Grâce à la convergence de plein de disciplines, les progrès en neurosciences, en sciences cognitives, en éthique et en mathématiques, on peut déjà avoir une trace de conscience assez rudimentaire.

Les progrès à venir en quantique vont permettre de dépasser ce paradigme et de faire exploser le plafond de verre. Sur la consommation d’énergie, on va pouvoir faire converger supports biologiques et supports synthétiques. On se dirige déjà vers des intelligences artificielles hybrides : des IA de type « deep learning » avec des réseaux de neurones, des IA plutôt symboliques avec une représentation formelle de la connaissance, des IA analogiques pour résoudre des problèmes complexes en s’inspirant des processus humains…

« Les progrès à venir en quantique vont permettre de dépasser ce paradigme et de faire exploser le plafond de verre. »

Pour aller plus loin :

[ÉDITORIAL] : Apprendre à vivre avec l’IA, oui, mais comment ?

Crédit Image à la Une : Taras Yasinski