Nouveau record pour la filière cosmétique française. Avec un chiffre d’affaires de 11,3 milliards d’euros à l’export au premier semestre 2024, l’économie des cosmétiques conserve sa troisième place sur le podium des plus grands secteurs d’exportation français, derrière l’aéronautique et le vin. L’occasion de faire le point avec Jean-Marc Giroux, président de la première association professionnelle des cosmétiques en France, sur l’excellence de la filière, et sa capacité d’innovation.
Malgré une série de grandes incertitudes et de mauvais indicateurs sur les plans politique et économique en France, le secteur des cosmétiques semble faire preuve de résilience. La filière affiche une croissance de 7,7 % par rapport au premier trimestre 2023, un niveau jamais atteint selon la dernière étude Cosmed-SVP. Un succès que Cosmed, l’association professionnelle de la filière cosmétique française, explique par le dynamisme des exportations, mais aussi par ses démarches d’innovation qui visent à répondre notamment à l’engagement de la génération Alpha (née après 2010), particulièrement sensible aux questions environnementales et sociétales.
CScience : Jean-Marc Giroux, vous êtes docteur en pharmacie et expert en toxicologie et pharmacologie. Comment avez-vous rejoint la présidence de Cosmed ?
J’ai eu une longue carrière, je vais essayer d’être bref ! À la sortie de mes études, j’ai créé une entreprise dans l’industrie pharmaceutique, puis j’en ai lancé une seconde, cette fois dans la diététique. J’ai rejoint la filière cosmétique au grè de mes expériences, et c’est à ce moment-là que les dirigeants de Cosmed m’ont appelé pour me demander de prendre en main l’association. À l’époque [en 2010], elle était en difficulté. Ils m’ont dit « avec ton expérience, tu en as pour trois mois de remonter ça », et j’y suis depuis 14 ans.
CS : Qu’entend-on quand on parle de “cosmétique” ?
La cosmétique est une filière très large qui englobe le parfum, le maquillage, les produits solaires, et tout ce qui va améliorer l’aspect et le bien-être personnel. Le dentifrice en fait également partie ! Pourtant, on dit souvent quand quelque chose n’est pas sérieux que « c’est cosmétique ».
« Pourtant, on dit souvent quand quelque chose n’est pas sérieux que « c’est cosmétique ». […] Mais c’est faux, la cosmétique est quelque chose d’important pour les gens, à différents niveaux. […] Et on essaie de porter cette voix au sein de Cosmed. »
En venant de la pharmacie, j’avais moi aussi une idée un peu futile du secteur. Je la trouvais plus sérieuse quand on parlait de dermocosmétique par exemple. Mais c’est faux, la cosmétique est quelque chose d’important pour les gens, à différents niveaux. Je pense notamment aux personnes atteintes de vitiligo [maladie auto-immune provoquant des tâches blanches sur la peau], pour qui la cosmétique est vectrice de socialisation. Et on essaie de porter cette voix au sein de Cosmed.
CS : Justement, parlez nous des missions de Cosmed.
Cosmed, c’est un vrai projet collectif qui agit comme un syndicat. Notre métier consiste à représenter les entreprises de la filière cosmétique, et notamment les PME – même si on a des grands groupes dans nos membres. Avec deux grandes d’activités : le lobbying et le soutien direct aux entreprises. Le lobbying sert à faire comprendre aux décideurs politiques comment fonctionne notre écosystème, pour qu’ils prennent des décisions en accord avec nos besoins. L’association siège d’ailleurs à la Commission européenne, dans les instances d’élaboration de la réglementation cosmétique.
Mais malheureusement, les politiques n’écoutent souvent que certains représentants des plus grands groupes cosmétiques. Notre travail, c’est de dire « attention, tout n’est pas comme dans les grands groupes ! » Il y a d’ailleurs de véritables écosystèmes régionaux, avec des PME qui ont un impact important sur leur territoire. Mais aujourd’hui on est bien reconnu et on conserve un dialogue régulier, avec Bercy notamment.
Le deuxième grand pan de notre mission est le soutien direct aux entreprises. On fait une veille réglementaire constante sur 120 pays pour donner toutes les clés à nos membres en matière d’exportation. Ce travail de veille est même devenu une référence dans toute l’Europe, et elle est primordiale, car les réglementations, surtout environnementales deviennent prépondérantes et ne sont pas simples à mettre en place dans la filière. Notre objectif est donc de pousser nos membres à s’approprier ces sujets.
CS : Selon vous, pourquoi la filière cosmétique française est autant reconnue dans le monde ?
Alors il y a le point de vue des Français, et le point de vue de ceux qui nous achètent à l’étranger. Déjà, elle n’est pas au troisième rang des régions exportatrices pour rien. Ça signifie qu’il y a une reconnaissance de la qualité française et qu’un produit cosmétique français pour les acheteurs asiatiques, sud-américains, nord-américains, est donc un produit de qualité. C’est notre clé d’ouverture vers les marchés, car on n’est pas les moins chers dans le monde. Et c’est pour cette raison que la cosmétique est aussi une des rares filières où on ne risque pas de délocalisation : nos acheteurs étrangers ont besoin du « Made in France » pour vendre les produits français dans leur pays !
CS : À quoi ressemble l’innovation dans le secteur des cosmétiques ?
Dans notre filière, l’innovation prend plusieurs formes. La grande innovation qui s’impose depuis la fin des années 2010, c’est la réduction du nombre d’ingrédients. Il y a 20 ans, la clé du succès pour impressionner la consommatrice c’était d’avoir vingt ingrédients différents inscrits sur la boîte.
En Occident aujourd’hui, un bon produit est un produit avec très peu d’ingrédients, trois ou quatre ingrédients fonctionnels tout au plus. Cette évolution s’est d’ailleurs traduite dans la réglementation, et non pas l’inverse, car elle émanait d’une évolution sociétale vers moins de pollution et de plus de sécurité. C’est pourquoi on doit désormais administrativement justifier de la fonction de chaque ingrédient : ça c’est un conservateur, ça c’est un matifiant, etc.
CS : Est-ce que la France se distingue sur le plan de l’innovation en cosmétique ?
Côté innovation, la France n’est pas la meilleure, mais beaucoup de pays sont extrêmement innovants, en Asie notamment. Il y a eu de grandes avancées là-dessus au Japon et en Corée, où il y a un véritable savoir différent en matière de formulation, qui correspondent aussi à des habitudes différentes : Une Coréenne applique en moyenne une dizaine de produits sur son visage le matin.
CS : La manière de consommer des produits cosmétiques a évolué ?
On est entré dans une démarche de vente omnicanale pour être de partout, et même créer des communautés de clients dans les différents canaux, notamment les réseaux sociaux. Tout ceci est l’aboutissement d’une évolution dans la relation au consommateur, qui ne reviendra d’ailleurs pas en arrière. Je pense par exemple au « Do It Yourself » popularisé par Aroma-Zone et qui plaît aux jeunes générations.
« Le renouvellement perpétuel des gammes est aussi une innovation. On peut même parler d’innovation produit perpétuelle. C’est pas une option, c’est essentiel. »
Dans ce cadre, le renouvellement perpétuel des gammes est aussi une innovation. On peut même parler d’innovation produit perpétuelle. C’est pas une option, c’est essentiel. Il y a d’ailleurs des communautés qui se créent autour d’une valeur, je pense aux cosmétiques végans par exemple qui n’existaient pas il y a quinze ans. Tout cela rend obligatoire l’innovation produit perpétuelle. C’est pourquoi un produit dure 3 ans en moyenne – sauf dans le parfum, où on va parfois jusqu’à 40 ans d’existence.
CS : Début décembre, vous organisez le salon CFIC, carrefour des fournisseurs de l’industrie cosmétique. Il portera notamment sur l’adaptation de la filière aux enjeux de transitions écologique et énergétique. L’économie cosmétique est-elle prête à surmonter ces mutations ?
Il faut déjà prendre conscience que c’est indispensable. Beaucoup d’entreprises réfléchissent à s’engager pour lutter contre le réchauffement climatique, notamment en réduisant leurs émissions de carbone, et les consommateurs en sont de plus en plus conscients. Il y a donc une réalité économique où il faut que cette énergie soit la moins carbonée possible.
Maintenant, s’il y a une chose sur laquelle Cosmed communique, c’est qu’il faudra plusieurs générations pour qu’on voie une amélioration et que malgré cette incertitude sur le résultat, qui peut être décourageante, il faut agir maintenant. Et l’innovation pour répondre aux besoins de transition n’est pas évidente, car on n’est pas créateur des innovations. On peut en revanche s’en inspirer, à chaque maille de la chaîne de production. Je pense à Léa Nature, par exemple, qui pousse son engagement écologique jusqu’à l’imperméabilisation à base de plante des toits de ses bureaux, et dont le département Innovation, Recherche et Développement est d’ailleurs implanté au siège.
CS : Quelle est la place de l’IA dans l’industrie cosmétique, si elle en a une ?
Alors première chose, je pense qu’il faut qu’on redescende sur Terre concernant l’IA (rires). On est au tout début, il n’y a rien de définitif ! Plusieurs expériences sont réalisées, surtout dans la récolte de données – scientifiques, économiques, de consommation… C’est intéressant, car même si ça nécessite de vérifier certaines choses, on gagne un temps incroyable qui libère de l’espace à l’intelligence humaine pour d’autres tâches. Je sais que les parfumeurs utilisent beaucoup cette technologie, comme le grand fournisseur d’ingrédients suisse Givaudan pour des recherches sur les compositions de parfum.
« Je sais que les parfumeurs utilisent beaucoup cette technologie, comme le grand fournisseur d’ingrédients suisse Givaudan pour des recherches sur les compositions de parfum. »
Mais ça va s’étendre, tous les secteurs y passeront et la cosmétique n’y coupera pas, donc il ne faut pas la craindre. Et puis l’intelligence artificielle manipule une quantité tellement importante de données qu’elle ne génère pas forcément de grandes innovations. Elle permet de comprendre tout ce qu’il se passe sur le marché mondial, mais elle n’est pas éminemment créatrice pour le moment. Et je suis persuadé que l’humain va rester indispensable, notamment sur des décisions à forte valeur ajoutée.
Entretien réalisé par téléphone le 20 novembre 2024.
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