[Entrevue] “La capacité du Québec en matière de technologies émergentes permet des opportunités pour nos entreprises”

[Entrevue] “La capacité du Québec en matière de technologies émergentes permet des opportunités pour nos entreprises”

À l’approche des Entretiens Jacques Cartier, rencontres annuelles entre experts et décideurs du Québec et d’Auvergne-Rhône-Alpes pour célébrer l’amitié et renforcer les liens de ces deux territoires, CScience s’est entretenu avec Franck Colcombet, président du Directoire d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises. Une édition exceptionnelle qui marque le 40e anniversaire du Centre Jacques Cartier axée selon lui sur la jeunesse, l’innovation industrielle, et le partage.

Le président du Directoire de l’agence Auvergne Rhône-Alpes Entreprises sera de la délégation d’entreprises et de dignitaires de la région qui se rendra au Québec la semaine prochaine, à l’occasion des 36e Entretiens Jacques-Cartier. Il nous livre ses constats et attentes à quelques jours de l’événement.

Franck Colcombet, l’agence Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises et sa délégation se rendent au Québec pour les Entretiens Jacques Cartier. Quel est le mot d’ordre de cette édition 2024 ?

Partage. J’ai envie de dire partage, non seulement pour cette année, mais aussi pour toutes les autres. C’est ce qui caractérise notre histoire avec le Centre Jacques Cartier au sein de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, et ce qui incarne selon moi l’essence des Entretiens.

Comment va se matérialiser la présence d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises aux EJC ?

Au-delà de la cérémonie d’ouverture, il y a d’autres événements intéressants auxquels on va participer. Je citerai notamment MTL Connecte, un temps fort pour les filières de l’intelligence artificielle et de la transformation numérique qui permettra à nos start-up régionales d’étendre leur influence au Québec.

« De notre côté, nous mettons en avant notre accompagnement particulier, avec l’objectif que le tissu industriel que constitue notre territoire s’allie à cette capacité d’innovation québécoise, toujours dans la logique de s’inspirer de part et d’autre »

C’est typiquement pendant ce genre d’événement qu’on s’inspire de ce qui se fait de bien et d’intelligent chez nos amis québécois. De notre côté, nous mettons en avant notre accompagnement particulier, avec l’objectif que le tissu industriel que constitue notre territoire s’allie à cette capacité d’innovation québécoise, toujours dans la logique de s’inspirer de part et d’autre. L’idée des Entretiens Jacques Cartier est de voir un peu comment on travaille sur ces sujets clés au niveau de la politique régionale, et qu’il en ressorte des partenariats durables avec une véritable portée académique, scientifique et économique des deux côtés de l’Atlantique.

Quelles sont les grandes innovations côté Auvergne-Rhône-Alpes ? Et côté Québec ?

On va venir pour les découvrir justement ! (rires) On va prendre le pouls de ce tissu, avec bien sûr des centres d’intérêt particuliers comme la transition énergétique qu’on partage avec nos amis québécois. Et j’ai envie d’insister sur des sujets très moteurs dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, comme la mobilité durable et l’hydrogène, à l’image de ce partenariat signé l’année dernière avec Québec international.

Est-ce qu’il y a une filière en particulier à valoriser cette année ?

Inoprod est une entreprise puydomoise de digitalisation des opérations manufacturières implantée depuis peu au Québec. Crédit image : Inoprod

Il y en a plusieurs, mais je mettrais l’accent sur l’innovation industrielle et ses filières relais – l’industrie 4.0, la santé numérique et la transition énergétique – qui sont autant de relais d’internationalisation. Les pôles et les clusters de notre territoire, notamment Axelera et Digital League, mais aussi la délégation d’entreprises qui nous accompagnent, incarnent cette filière de l’innovation industrielle. Je pense à SET Corporation SA en Haute-Savoie, spécialise des équipements technologiques industriels, ou SCIADO, qui propose des solutions pédagogiques pour la simulation des événements.

Il y a aussi l’entreprise grenobloise Skaping, qui propose des caméras connectées dans le tourisme, et VirexpR, spécialiste en virologie pour la santé de l’air intérieur. VirexpR fait d’ailleurs le déplacement pour la deuxième fois aux côtés de l’agence, avec une volonté très concrète de développer leur implantation en Amérique du Nord. Et bien sûr d’autres entreprises se joindront à nous à certains moments des EJC.

« […] je mettrais l’accent sur l’innovation industrielle et ses filières relais – l’industrie 4.0, la santé numérique et la transition énergétique – qui sont autant de relais d’internationalisation »

Je pense notamment aux structures déjà implantées comme Inoprod, qui fait de la création de « jumeau numérique » [une fonction qui permet de reproduire numériquement le fonctionnement d’un atelier ou d’une usine]. Avoir l’occasion de les visiter, c’est l’occasion d’obtenir un retour d’expérience sur les bonnes pratiques, toujours dans une logique de partage – j’en reviens à mon thème de départ (rires).

Selon vous, pourquoi c’est important que le Québec et la région Auvergne-Rhône-Alpes parlent innovation ensemble ?

Catherine Staron, Vice-présidente déléguée aux lycées, à l’enseignement supérieur, à la recherche et à l’innovation, participera aux Entretiens Jacques Cartier 2024. Crédit photo : Région Auvergne-Rhône-Alpes

Je dirais au regard de nos liens, tout simplement. Pour vous donner quelques chiffres, on a aujourd’hui 77 entreprises canadiennes basées en région, et le Canada fait partie des fournisseurs les plus significatifs en Auvergne-Rhône-Alpes, avec 63 millions d’euros d’importation chaque année. C’est aussi le quatrième pays d’affectation des VIE français [Volontariat international en entreprise], avec une centaine de contrats actifs, alors on renforce les relations existantes en misant particulièrement sur la jeunesse et les étudiants. On sera d’ailleurs accompagné de la Vice-présidente déléguée aux lycées, à l’enseignement supérieur, à la recherche et à l’innovation Catherine Staron.

« (…) la capacité du Québec en matière de technologies émergentes permet des perspectives intéressantes, avec des opportunités pour nos entreprises. »

Au-delà des domaines académiques et universitaires, il y a les écosystèmes d’innovation avec des dynamiques intéressantes, notamment en intelligence artificielle. C’est là où la plateforme industrielle extrêmement vaste que représente la région Auvergne-Rhône-Alpes devient un vrai capital pour industrialiser les innovations. C’est une grande force complémentaire, et un terrain extrêmement favorable pour créer des relations fertiles, et la capacité du Québec en matière de technologies émergentes permet des perspectives intéressantes, avec des opportunités pour nos entreprises. J’ajouterais que sur un plan plus large, on est engagé au niveau de l’agence et de la région à l’ouverture à l’international, pour favoriser la compétitivité économique et technologique et s’y confronter partout dans le monde.

Il y a déjà beaucoup d’exemples de collaboration entre les acteurs de l’écosystème de l’innovation au Québec et en Auvergne-Rhône-Alpes, notamment avec la zone d’innovation de Sherbrooke. Les Entretiens Jacques Cartier sont-ils l’occasion d’accélérer ce type de partenariat ?

Oui bien sûr, l’objectif est de continuer à les nourrir, et potentiellement d’en identifier de nouveau. On est très curieux de ces volets-là, et notre agence a vraiment pour ambition de faire grandir la force économique de l’événement.

Il y a une volonté claire et assumée en Auvergne-Rhône-Alpes de devenir la région des ingénieurs, cela passe notamment par la formation puis la conservation des talents sur notre territoire. Pour les EJC, vous vous rendez dans une province qui elle fait tout pour attirer les ingénieurs : comment on concilie les deux ?

On est convaincu qu’on doit être la région des ingénieurs. Pour vous donner un chiffre, il y a à date 16 000 postes d’ingénieurs ouverts [et donc non pourvus] dans la région, et nous sommes la région qui a ouvert le plus d’usines en 2023, avec 73 nouveaux sites industriels. Je rappelle aussi que l’Auvergne-Rhône-Alpes est la première région au niveau européen sur les investissements directs étrangers dans l’industrie. Notre territoire est donc moteur de la renaissance industrielle en France, et si on veut répondre aux besoins de recrutement de nos entreprises pour des talents d’ingénieurs, mais aussi de chaudronniers ou de soudeurs par exemple, il faut rester à la pointe, et pour innover, il faut des ingénieurs.

« Je crois qu’on aura tout gagné en mettant en commun les forces que nous avons, et qu’il est pertinent de se pencher sur ce qu’on peut réussir de bien ensemble et de nourrir nos échanges avec des belles réussites des deux côtés. »

Maintenant, le but n’est pas de fermer nos jeunes ingénieurs aux expériences internationales. Très souvent d’ailleurs, ils reviennent et nourrissent nos entreprises de leur expérience à l’étranger. Alors plutôt que de se demander comment on les retient, la logique serait plutôt de les former de plus en plus pour à la fois renforcer leurs compétences et répondre aux besoins de nos entreprises. Je crois qu’on aura tout gagné en mettant en commun les forces que nous avons, et qu’il est pertinent de se pencher sur ce qu’on peut réussir de bien ensemble et de nourrir nos échanges avec des belles réussites des deux côtés. D’autant qu’à long terme, on aimerait faire de la région Auvergne-Rhône-Alpes une plateforme d’accès à l’Europe.

Dans cette lignée, le Québec attire beaucoup de talents du Maghreb, territoire vivier d’ingénieurs. La région Auvergne-Rhône-Alpes doit-elle selon vous s’inspirer de son pendant canadien et capitaliser sur la francophonie économique ?

Oui, c’est un thème qui nous est cher. Je dirais même que si on est engagés dans cette démarche des EJC, c’est aussi en direction de la francophonie économique. On veut s’appuyer sur cette francophonie économique, mais aussi la protéger. C’est une vision à laquelle notre président Fabrice Pannekoucke et son prédécesseur sont très attachés et que nous portons, notamment en réunissant les décideurs et en multipliant les démarches dans les pays francophones.

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Dans un contexte de ralentissement de l’industrialisation en Europe, la région Auvergne-Rhône-Alpes se distingue comme première région industrielle de France. Est-ce que vous arrivez aux EJC en tant que modèle de réindustrialisation ?

Je fais attention à la notion de modèle car elle peut impliquer un manque d’humilité. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a des résultats qui démontrent qu’on a trouvé des leviers qui fonctionnent pour justement maintenir cette dynamique. Ce sont des éléments concrets qui prouvent bien que, malgré une atmosphère assez morose et complexe en Europe, la région Auvergne-Rhône-Alpes fait preuve d’une démarche positive et encourageante en matière de relocalisation, et si on peut partager ce type de recette on le fait.

« Ce sont des éléments concrets qui prouvent bien que, malgré une atmosphère assez morose et complexe en Europe, la région Auvergne-Rhône-Alpes fait preuve d’une démarche positive et encourageante en matière de relocalisation, et si on peut partager ce type de recette on le fait. »

Après, on a la chance d’avoir un tissu très riche dans des filières très variées comme la santé, l’alimentaire, la chimie, avec des locomotives exceptionnelles dans chacune, qui donnent à notre territoire des forces incontestables.

Jacques Blanchet, Vice-Président régional à la formation professionnelle et à l’apprentissage, est membre du directoire d’Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises. Crédit photo : Région Auvergne-Rhône-Alpes

Justement, quels sont ces leviers ?

On est arrivé à mettre en place un certain nombre de choses efficaces. Je pense notamment au plan de relocalisation stratégique d’1,2 milliard d’euros sur six ans, mis à disposition de nos entreprises fin 2021. Le rôle de notre agence est aussi un levier puissant. Elle incarne un organe agile et efficace, proche des entreprises, un modèle assez unique qui a la particularité d’être public privé, avec des décideurs des deux mondes dans toutes ses instances.

Je préside le directoire en tant que chef d’entreprise, et je suis accompagné par Jacques Blanchet, Vice-Président régional à la formation professionnelle et à l’apprentissage. Notre équipe de 150 personnes, un chiffre significatif sur un territoire comme le nôtre, est un ingrédient du succès. Ces acteurs accompagnent les entreprises bien au-delà des sujets de subvention, notamment sur l’international et sur la partie attractivité. Je pense à un bel exemple d’implantation, le joaillier de luxe Van Cleef & Arpels, qui a permis la création de plusieurs centaines d’emplois au Puy-de-Dôme. Mais loin de la prétention d’être un modèle, il y a une vraie volonté d’échanger sur nos retours d’expériences durant ces EJC.

Propos recueillis le 2 octobre 2024.

Pour aller plus loin :

[Émission C+clair] Comment Lyon et Sherbrooke ont-elles transformé leurs régions en modèles d’innovation ?

 

Crédit Image à la Une : Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises