Jeudi 13 juin, près de 800 personnes en quête d’inspiration pour l’entrepreneuriat responsable ont investi les halles de H7, lieu totem de l’innovation à Lyon. La raison ? zero to one, le rendez-vous incontournable de l’écosystème des start-up. Julien Marbouty, directeur de H7, revient sur la troisième édition de l’événement à succès.
Julien Marbouty, vous avez organisé ce grand événement avec toute l’équipe de H7 pendant des mois. Trois mots pour résumer l’édition 2024 de zero to one ?
Si je devais choisir, ce serait communauté, tech et impact.
Communauté avant tout, parce qu’au moins une personne de chacune de nos 68 start-up résidentes a pris un billet. Cela me tient à cœur, car zero to one sert également à faire rayonner la marque. Communauté aussi car plusieurs talents résidents à H7 ont pitché sur l’événement. Je pense notamment à Antonin Guy, CEO de We Count, lors d’une table ronde sur la décarbonation, mais aussi plusieurs entrepreneurs de nos programmes shortcut et 13M. Leur témoignage est une véritable mise en visibilité de ces entreprises qu’on a la chance et l’honneur d’accompagner au quotidien.
La tech et l’impact, car on a réussi à montrer que les audiences autour de ces deux thématiques coexistent. Toutes les conférences portaient sur la technologie au service du bien commun telles que la santé des femmes, l’inclusion numérique, l’immobilier vert… Autant de thématiques qui nous guident au quotidien. Elles ne sont pas clivantes, bien au contraire ; elles nous réunissent et doivent être considérées au même plan. C’est d’ailleurs un retour de notre partenaire REI Habitat, selon qui il est rare de voir ces communautés-là se mélanger. Et tant mieux, car on est convaincus qu’une personne qui nous rejoint sait regarder à la fois côté tech et côté « bon sens ». En tout cas, je crois qu’on a réussi à remettre l’humain au centre d’un événement qui fédère depuis trois ans. C’est notre plus grand accomplissement.
« […] je crois qu’on a réussi à remettre l’humain au centre d’un événement qui fédère depuis trois ans. C’est notre plus grand accomplissement. »
800 personnes ont fait le déplacement jeudi 13 juin. 800 participants, c’est un succès pour vous ?
C’est un succès, car même si on aurait aimé atteindre le chiffre symbolique de 1 000 participants, le ratio est meilleur que celui de l’année dernière [70 % de taux de participation en 2023, contre 80 % cette année]. C’est un acte assez fort dans une ère du « tout gratuit », avec énormément de contenus disponibles partout en ligne. Selon moi, et ce qu’on a souhaité faire avec zero to one, c’est remettre de la valeur là où il y en a. C’est pourquoi nous avons fait ce grand travail de sélection dans nos speakers. Et pour rappel, notre métier reste l’accompagnement des start-up, pas l’événementiel. Alors au-delà du nombre de participants, le meilleur indicateur pour nous reste ce taux d’engagement.
« Alors au-delà du nombre de participants, le meilleur indicateur pour nous reste ce taux d’engagement. »
C’est un secret pour personne, les start-up souffrent d’un manque cruel de financement (en ce moment et) depuis bientôt trois ans. Comment l’expliquez-vous et est-ce que ça s’est ressenti dans les échanges sur l’événement ?
Effectivement, je ressens bien qu’on traverse une période où les financements se tarissent pour les start-up, particulièrement pour celles qui sont « early stage ». Cela s’explique par différents facteurs, à commencer par la partie bancaire avec la hausse des taux directeurs, la baisse de l’argent public et notamment du déploiement des bourses French Tech, et la frilosité des « business angels » qui préfèrent les classes d’actifs qui leur rapportent plus d’argent et privilégient donc les sociétés du CAC40. À cela s’ajoutent les grandes entreprises qui sont moins enclines à signer des contrats à risque dans cette période de récession, et bien sûr des choix politiques défavorables à l’entrepreneuriat, avec le durcissement des conditions d’accès à l’assurance-chômage, alors que France Travail reste le premier employeur des auto-entrepreneurs… Toutes ces raisons contribuent à la diminution des opportunités économiques pour faire entrer un peu de « cash » lors du lancement d’une start-up. D’ailleurs, on est à presque 3 ans « post-COVID » et les prêts accordés par l’Etat doivent être remboursés, avec des mensualités assez conséquentes. Alors oui, tout l’écosystème macro et micro-économique est plutôt défavorable à la création d’entreprise. Et au-delà de l’événement, on le ressent surtout dans les dossiers que nous recevons : il y a moins de start-up « early-stage ».
« Toutes ces raisons contribuent à la diminution des opportunités économiques pour faire entrer un peu de « cash » lors du lancement d’une start-up »
On observe que les projets accompagnés sont plus matures, qu’il y a un effet de bascule de l’incubation vers l’accélération. Alors ça interroge : Est-ce qu’on a encore la place pour les projets en phase d’idéation, sont-ils toujours un modèle viable ?
Il est vrai qu’en ce moment, c’est compliqué d’aller confronter son idée avec le marché. C’est une phase passionnante mais difficile, qui oblige à aller dans la profondeur des organisations. Les discussions avec les clients potentiels doivent se faire à moindre coût, et même s’il y a encore matière, les conclusions qui en sont tirées sont insuffisantes. Alors oui, il y a encore de la place pour ces projets, mais la plupart des entrepreneurs obtiennent une validation « produit-marché » bancale. C’est un frein pour l’incubation. Et nous, on intervient tout de suite après cette validation, car une fois qu’on connaît le nombre d’utilisateurs prêts à adopter un produit donné, le H7, sa communauté, son lieu de vie et son programme vont permettre de structurer le projet. Aujourd’hui, moins de personnes qui se lancent sont véritablement prêtes à se confronter à cette phase, et le manque de financement que j’évoquais plus tôt n’arrange rien.
« Les entreprises qui ont réussi à dépasser toutes ces barrières et qui ont eu la chance d’être recapitalisées cette année bénéficient d’un effet de concurrence nettoyée et en sortent renforcées. »
À l’inverse, les entreprises qui ont réussi à dépasser toutes ces barrières et qui ont eu la chance d’être recapitalisées cette année bénéficient d’un effet de concurrence nettoyée et en sortent renforcées. Hupso [plateforme dédiée à la formation aux métiers en tension] et WeCount [solution qui permet de mesurer son empreinte carbone] chez nous en sont les meilleurs exemples. Elles répondent à deux sujets incontournables de société, l’emploi et le climat, et en ayant bien négocié ce virage de l’impact, elles en sortent renforcées. Hupso va d’ailleurs accueillir 50 nouvelles personnes et We count une vingtaine, d’ici la fin de l’année. La clé finalement, pour conserver un modèle viable, ce serait peut-être d’inclure l’impact dès la naissance du projet.
On sent également qu’on pivote vers des modèles de start-up plus inclusifs, tant sur la forme que sur le fond. Il y avait beaucoup de profils féminins parmi les speakers cette année, et la clôture de l’événement était réservée à la très inspirante Catherine Barba Chiaramonti, pionnière de la French Tech. Pourquoi ce choix ?
C’est une superbe question, et on se l’est beaucoup posée. Très simplement, au-delà du genre, on sélectionne un talent pour sa capacité à embarquer le public. Je vais partir de l’exemple de Catherine Barba Chiaramonti. Comme a pleinement conscience qu’un ou une entrepreneur qui nous accorde sa demi-journée, c’est précieux, la question qu’on se pose, c’est avec quoi chaque personne du public va repartir ? Nous, on a choisi d’appliquer un ratio très simple : 80 % d’énergie, et 20 % de contenu. En ce sens, Catherine Barba Chiaramonti colle parfaitement ! Je crois que tout le monde est reparti de sa conférence avec 20 % d’apprentissage, mais surtout, surtout, dynamisé et reboosté. Ici, l’apprentissage c’était l’importance du dialogue avec ses clients, et les forces du modèle de « freelance » dans l’entrepreneuriat. Maintenant, les chiffres en termes de parité ne sont pas à l’équilibre. On avait environ 40 % de femmes speakers, et je n’ai pas envie qu’on l’accepte.
Comment atteindre les 50 % alors ?
J’en reviens à la communauté. Son rôle, c’est de servir de modèle, et ce n’est qu’en pensant différemment, qu’on peut appliquer des modèles différenciants. C’est pourquoi on essaie de mettre en lumière tous les talents présents au sein d’une start-up. On l’a fait sur l’événement, et on le fait aussi dans notre podcast Dans un fauteuil. Et c’est un message qu’on aimerait passer pour nos amis dans la tech, c’est de parler de tous les talents dans leurs équipes, plutôt qu’uniquement les membres fondateurs. C’est essentiel parce que la réalité d’une start-up en croissance, c’est la gestion opérationnelle, où il y a des profils féminins – notamment dans la communication et le juridique. D’ailleurs, c’est plus facile de faire le transfert avec des personnes qui représentent le quotidien et l’opérationnel.
« […] on essaie de mettre en lumière tous les talents présents au sein d’une start-up. On l’a fait sur l’événement, et on le fait aussi dans notre podcast Dans un fauteuil. Et c’est un message qu’on aimerait passer pour nos amis dans la tech, c’est de parler de tous les talents dans leurs équipe, plutôt qu’uniquement les membres fondateurs. »
Je crois que ça passe aussi par le choix des speakers sur les conférences. Dans les coulisses de la préparation de zero to one, j’ai pu constater que le premier profil féminin est difficile à trouver et souvent, une potentielle intervenante demandera qui sont les autres speakers à ses côtés. C’est quasiment jamais le cas pour les intervenants. Car pour les femmes s’ajoutent des discriminations, comme un temps de parole parfois réduit par les autres invités masculins, mais aussi une charge mentale supplémentaire et un temps précieux pris sur la gestion de l’entreprise. On a d’ailleurs une vigilance particulière pour les tables rondes. C’est un exercice difficile pour des gens qui ne sont pas à l’aise de contredire en public, de couper la parole, ou tout simplement qui n’ont pas une bonne gestion du temps. Cela peut créer de la frustration, avec des temps de parole fagotés. C’est pourquoi on a privilégié le format « 1 to 1 » de trente minutes. C’est l’une de nos singularités à zero to one.
L’entrepreneuriat au féminin, est-ce justement une approche différente de l’innovation, avec une meilleure prise en compte des grands enjeux sociaux que traverse notre époque ?
Il y a plusieurs effets. À zero to one, on a beaucoup parlé de deux enjeux sociaux : l’inclusion et la diversité. La tech est un laboratoire où l’on va observer des pratiques, et en ce sens, il est important d’avoir un profil d’entrepreunariat au féminin fort, pour garantir une bonne répartition dès la phase de recherche. Le second effet porte sur la nécessité de comprendre les besoins de la société – ça reste le tronc commun de nos start-up à impact. La recherche de marché et donc de potentiels clients doit être faite par des personnes qui ont de fortes capacités et compétences d’écoute et d’empathie. Certains diront que ce sont plutôt des qualités féminines, posant la question d’une approche différente de l’innovation et de l’entrepreneuriat par les femmes. Moi je dirais que si c’est des femmes génial, et si c’est des hommes, génial aussi : l’important, c’est que les bénéficiaires aient des solutions évidentes, qui parlent à toutes et tous.
[Entrevue | Sana Chennoufi] « Le H7 est un lieu qui évolue en fonction des enjeux de sa génération »
Focus sur notre territoire : On est la première région industrielle de France, avec un tissu très dense d’acteurs publics et privés dans la filière. Quelle place pour les start-up industrielles à zero to one et à H7 ?
Cette année, on a choisi de faire une conférence avec une start-up industrielle. Et comme on aime bien mettre la barre haute, on est allé chercher Exotec, la première licorne industrielle (et robotique !) française [Bien qu’elle ne soit pas née à Lyon]. Pour nous, c’est important d’être à l’image de notre territoire, fortement marqué par la filière industrielle. Et où l’innovation industrielle a d’ailleurs toute sa place : je pense notamment à Verkor, la super giga-factory de batteries bas-carbone. L’audience de zero to one peut tout à fait être intéressée par les belles réussites de notre région dans la filière industrielle. Mais la réalité de notre activité à H7, c’est que les projets qu’on accompagne sont issus à 90 % de start-up de logiciel, notamment car nos espaces ne sont pas pensés pour le stockage et la micro production… Alors on ne se positionne pas sur des start-up industrielles, et on laisse d’autres acteurs comme Bel Air Camp le faire – très bien d’ailleurs – pour l’écosystème.
« Cette année, on a choisi de faire une conférence avec une start-up industrielle. Et comme on aime bien mettre la barre haute, on est allé chercher Exotec, la première licorne industrielle (et robotique !) française »
Quelles nouveautés peut-on attendre pour les futures éditions ?
On a plusieurs axes de travail : le premier sur la diversité et l’inclusion, déjà évoqué. Le deuxième sur la valorisation des collaborations entre les start-up et les grands groupes, parce que je crois qu’il faut être en relation avec son territoire pour proposer une innovation viable et pérenne. Alors à zero to one, on a raconté des histoires de collaboration. Cette année, c’était la chaîne hôtelière Accor et les start-up Alltheway et Fullsoon Lab, ou encore le groupe immobilier ICADE et les jeunes pousses Terrio, Lokimo et Nagomya. L’enjeu ici est de comprendre les spécificités des territoires sur lesquels on entreprend.
Le troisième sujet, c’est identifier des thématiques avant-gardistes pour lesquelles le public a des demandes et de la curiosité. Pour la troisième édition, on a choisi bien sûr l’intelligence artificielle et générative, mais aussi la santé des femmes avec Lyv sur l’endométriose, la décarbonation à différents niveaux et au sens large, comme dans la construction immobilière. J’aurais aimé aussi parlé des ordinateurs quantiques, voire de physique quantique. C’est un sujet de niche, mais c’est aussi notre rôle de mettre en visibilité des sujets plus riches.
On se donne rendez-vous quand pour le prochain zero to one ?
Le prochain rendez-vous zero to one aura un format unique puisqu’il se déroulera à Paris le 28 août, sur une matinée uniquement, dans le cadre des Universités d’été de l’économie de demain. C’est l’événement annuel du mouvement Impact France, une association qui représente les intérêts des dirigeants du monde de l’économie sociale et solidaire. Et le prochain grand format zero to one, ce sera en janvier 2025 avec une deuxième édition à Nantes. Pour ces éditions hors H7, on prend la recette avec les fondamentaux de l’événement, et on l’enrichit avec l’écosystème local pour valoriser ses verticales – l’économie de la mer par exemple à Nantes. Et bien sûr, on se (re)donne rendez-vous ici à Lyon l’été prochain !
Un mot de la fin ?
Il ira à nos partenaire, que je tiens vraiment à remercier. Parce que pour accélérer les start-up, et l’innovation plus largement, on a besoin de tout l’écosystème. Qu’ils apportent la compétence, la connaissance, ou le financement, c’est primordial. Et zero to one incarne ça : on vient aider les porteurs de projet à s’améliorer sur leurs métiers, on leur donne de la visibilité avec une couverture médiatique comme celle de CScience, on les met en relation avec des investisseurs… En tant qu’équipe, on prend plaisir à le faire. On aime bien faire des choses qui fédèrent et c’est pour ça que cette édition 2024 a été une réussite pour nous.
« Parce que pour accélérer les start-up, et l’innovation plus largement, on a besoin de tout l’écosystème. Qu’ils apportent la compétence, la connaissance, ou le financement, c’est primordial. »
Entretien réalisé à H7, le mardi 18 juin 2024.
Retrouvez les temps forts de zero to one 2024 dans cet article reprenant heure par heure les conférences et rencontres incontournables de cette édition :
Revivez les faits les plus marquants de la 3ème édition de zero to one
Crédit Image à la Une : Léo Girard