Normalienne, agrégée d’économie et docteure en sciences de gestion, Hélène Garner a dirigé le département Travail-Emploi-Compétences de France Stratégie entre 2016 et 2024. Elle occupe désormais le poste de directrice des données et des études à l’Apec. Pour h30, elle revient sur les grands enjeux et défis de l’apprentissage en ce début d’année 2025, et notamment la diminution des aides publiques.
En l’espace de dix ans en France, on est passé de 410 000 à plus d’un million de contrats d’apprentissage. Pourquoi un tel succès ?
Le succès de l’apprentissage a été porté par une évolution du cadre législatif, notamment par la « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018, et par les aides publiques. Ces dernières ont fortement soutenu l’apprentissage, en particulier dans certaines filières du supérieur. C’est même l’une des caractéristiques de cette croissance très forte : le nombre d’apprentis a été multiplié par huit dans les écoles de commerce entre 2018 et 2022.
On constate aussi que ces aides font partie des incitations pour les entreprises de petite taille. Selon une étude Apec, 88 % des TPE et 71 % des PME ayant accueilli des alternants bac +3 et plus ces dernières années déclarent qu’elles auraient soit renoncé, soit hésité à les recruter sans ce dispositif. On voit donc bien que le rôle des aides, dont la soutenabilité est aujourd’hui réinterrogée à l’aune des enjeux financiers, est central.
Selon les données de la DARES, 849 600 contrats d’apprentissage ont débuté en 2023, soit une augmentation de 2 % seulement sur un an, en net ralentissement par rapport aux fortes hausses constatées depuis 2019. À la rentrée de septembre, on n’a jamais vu autant de jeunes en recherche de contrat d’apprentissage rester sur la touche. Comment expliquez vous ce déclin ?
Aujourd’hui, même si ce sont encore des volumes extrêmement importants, on atteint potentiellement un plateau. C’est un enjeu de vivier. Vu la multiplication des contrats ces dernières années, il sera peut-être plus difficile de trouver des nouveaux candidats. La conjoncture évolue sur le marché du travail, avec un essoufflement après la tendance post-covid qui était très favorable à l’emploi.
« On sait désormais que les aides à l’embauche d’apprentis vont être réduites selon la taille de l’entreprise. Fixée à 6 000 € depuis 2022, elle passerait à 2 000 € pour les entreprises de 250 salariés et plus, et 5 000 € pour les entreprises plus petites. C’est une sorte de reciblage sur les PME et les TPE »
Et bien sûr, il y a cette interrogation depuis plusieurs mois sur la diminution du dispositif. On sait désormais que les aides à l’embauche d’apprentis vont être réduites selon la taille de l’entreprise.
Fixée à 6 000 € depuis 2022, elle passerait à 2 000 € pour les entreprises de 250 salariés et plus, et 5 000 € pour les entreprises plus petites. C’est une sorte de reciblage sur les PME et les TPE. On peut donc espérer que ce dispositif continuera de soutenir l’apprentissage dans ces entreprises, déjà fortement impactées par l’instabilité globale.
Quels sont les possibles impacts de la diminution des aides publiques ?
Il y aura peut-être moins d’opportunités d’emploi, car la vraie difficulté est de savoir si sans ces aides, il y a des offres d’apprentissage qui n’existeraient pas. Cela dépendra de l’importance de ces effets d’aubaine pour les grandes entreprises. L’idée, c’est qu’elles ont plus de capacité financière pour financer l’apprentissage, et donc moins besoin de soutien de l’État, mais peut-être qu’on se rendra compte dans un an ou deux qu’elles en avaient aussi besoin.
Pour l’instant en tout cas, il y a le souhait de re-cibler les aides, parce que le coût pour les finances publiques était extrêmement élevé, et donc de se concentrer sur les entreprises qui ont le moins de capacité financière, à savoir les TPE et les PME. On verra si cette stratégie pèse ou non sur le recrutement d’apprentis.
En quoi l’essoufflement de l’apprentissage est un indicateur de la crise politico-économique que traverse notre pays actuellement ?
Je pense que le contexte d’incertitudes pèse en général sur le climat des affaires, sur les entreprises, et certainement sur leurs décisions de recrutement. En particulier quand elles sont soutenues par des aides publiques et qu’on sait, comme évoqué dans l’étude qu’on a publiée en octobre 2024, qu’elles sont déterminantes dans la prise de décision.
À l’inverse, quelles réponses l’apprentissage peut-il apporter à cette crise ?
L’apprentissage est un moyen de se constituer un vivier de talents. On constate que la très grande majorité des entreprises souhaite recruter des alternants qu’elles pourront embaucher à l’issue d’un contrat : 80 % estiment que ces jeunes feront partie du vivier dans lequel elles pourront puiser.
Si l’embauche n’est pas automatique, l’apprentissage peut apporter une première réponse dans un contexte difficile. On voit aussi qu’il facilite l’insertion et l’accès à l’emploi durable, ce qui constitue une bonne nouvelle pour l’économie de notre pays.
« Si l’embauche n’est pas automatique, l’apprentissage peut apporter une première réponse dans un contexte difficile. On voit aussi qu’il facilite l’insertion et l’accès à l’emploi durable, ce qui constitue une bonne nouvelle pour l’économie de notre pays. »
Enfin, l’alternance reste un puissant levier de transformation et de mixité sociale. Un tiers des alternants issus de milieu modeste estiment qu’ils n’auraient pas atteint ces diplômes sans l’alternance, et plus de la moitié rapportent qu’ils n’auraient pas intégré des établissements aussi prestigieux.
C’est un levier qu’on encourage fortement à l’Apec. Un web atelier dédié uniquement à la recherche de stage et d’alternance sera bientôt lancé, et une étude sur la recherche d’alternance dans le supérieur va être publiée très prochainement.
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Crédit Image à la Une : Hélène Garner