Alors que les nuages assombrissent l’horizon géopolitique des prochains mois, il est plus que jamais nécessaire d’appeler à renforcer notre souveraineté technologique à l’échelle européenne.
A deux mois du Sommet international pour l’action sur l’intelligence artificielle qui doit se tenir à Paris les 10 et 11 février prochains, la France continue à exprimer son souhait de devenir pionnière de l’IA nouvelle génération.
Des centaines de chefs d’Etat et de représentants d’organisations internationales, chercheurs, entreprises et organisations non gouvernementales, sont attendus pour proposer, forts des bases de discussion posées lors des sommets de Bletchley Park, en novembre 2023, et de Séoul, en mai dernier, des propositions concrètes en matière d’éthique et de gouvernance de l’IA. Mais pas seulement.
Une France qui se veut leader
Il s’agira notamment d’interroger les gains de productivité promis par l’IA et la manière d’accompagner les travailleurs dans la formation de cette technologie. Le développement des compétences est effectivement l’enjeu numéro un.
L’Etat doit ainsi accélérer ses efforts de formation. Pour répondre aux besoins croissants en la matière, ce sont près de 40 000 talents qui devraient sortir des écoles chaque année. Nous avons de formidables établissements spécialisés en France pour cela, mais que dire des derniers chiffres de l’enquête Trends in International Mathematics and Science Study (Timss) qui place la France aux dernières places en Europe en matière d’enseignement des mathématiques et des sciences.
« (…) il faut mobiliser des investissements d’ampleur. Seule l’Europe peut être moteur en la matière. Car seule l’Europe en a les moyens. »
Notre retard pédagogique doit être rapidement comblé à défaut de quoi il pourrait devenir très pénalisant pour nos ambitions à moyen terme. Nous devons éviter un scénario où nos écoles finiraient par accueillir majoritairement des ingénieurs étrangers venus chez nous parfaire leurs connaissances pour mieux les appliquer ailleurs.
Aussi, dire qu’il faut parier sur le vivier d’expérience que représentent les entreprises, c’est aussi leur laisser le fort de la responsabilité d’agir et de réussir. Certes, il faut multiplier les cas d’usage, car l’IA reste un atout pour gagner en productivité, une clef pour l’émancipation sociale. Mais cela ne peut se faire que dans la confiance accordée aux entreprises pour innover. Revoir à la baisse les dispositifs du Crédit d’impôt recherche des entreprises notamment serait une grave erreur.
La France présente des atouts indéniables dans son modèle de formation supérieure mais aussi dans son modèle énergétique. Produire une électricité bas carbone, comme c’est le cas actuellement dans notre pays, est une force pour séduire une industrie de l’IA particulièrement énergivore.
Mais pour que la France continue à miser sur ses points forts, et face à des Etats-Unis et une Chine qui font montre d’ambition et d’agressivité commerciale, il faut mobiliser des investissements d’ampleur. Seule l’Europe peut être moteur en la matière. Car seule l’Europe en a les moyens.
Au sein d’une Europe forte
Des investissements communs et massifs en Europe sont impératifs pour nous permettre de maintenir notre développement technologique compétitif. Le rapport Draghi remis en septembre dernier l’a suffisamment mis en évidence.
Il faut aussi de la régulation. Nous disposons en Europe d’un cadre règlementaire ambitieux et précurseur avec le tryptique normatif constitué de l’IA Act, du Digital Services Act et du Digital Market Acts.
De nombreuses voix émergeant principalement des géants de l’industrie numérique conspuent actuellement ce cadre normatif et prennent prétexte de la dérégulation promise par Donald Trump aux Etats-Unis pour justifier de desserrer ce qu’ils jugent être un étau.
« Sans règles, le développement de l’IA et des services utilisant l’IA se retourneront fatalement contre les marchés qu’ils sont censés servir. »
Or, l’enjeu n’est pas la norme mais son application. Sans règles, le développement de l’IA et des services utilisant l’IA se retourneront fatalement contre les marchés qu’ils sont censés servir. Et en particulier envers les Small Tech, ce vivier constitué des PME et ETI du secteur. Ce n’est pas la norme qui est en cause, mais son application. Les Etats se doivent de simplifier et d’adapter le volet administratif de l’application des règles. Là est l’effort à accomplir.
Il s’agit ici d’un enjeu de souveraineté. Le sujet, comme l’a rappelé à Marseille il y a quelques jours à l’occasion de l’événement AIM le milliardaire Xavier Niel, c’est « où est le contrôle » ? Cependant, alors que lui et d’autres chefs d’entreprises français réclament de maintenir un ancrage français pour des entreprises comme Mistral AI, il serait plus judicieux d’en appeler à un ancrage européen.
Nous avons cruellement besoin d’un modèle européen. La fragmentation européenne nous a appris la concurrence. C’est l’atout majeur de l’Union européenne. Mais il nous manque de nouvelles entreprises, des nouveaux entrepreneurs, de nouveaux modèles européens pour l’expérimenter pleinement.
A défaut de quoi, nous continueront à décrocher et à faire rimer nos ambitions technologiques avec illusion. Souhaitons que le Sommet de l’IA, face à un Trump arrogant, soit une occasion pour nos chefs d’Etats ainsi que nos entrepreneurs européens de le rappeler mais aussi et surtout de le mettre en œuvre dès que possible.
AI Act : Tout savoir de la nouvelle réglementation européenne
Crédit Image à la Une : Dall-e