La réélection de Donald Trump sonne comme un mauvais rêve. Mais hélas, plus comme une surprise. Depuis la première élection du milliardaire en 2016, le populisme a gagné en puissance non seulement aux Etats-Unis mais aussi dans tous les scrutins du monde entier et s’impose comme notre nouvelle réalité politique. La croissance d’une technologie guidée par les codes du divertissement y est pour quelque chose.
C’est la première photo qui a émergé des coulisses avant même le discours de victoire du nouvel élu. Donald Trump attablé, en pleine discussion avec Elon Musk. Tout un symbole. L’union du tribun populiste et du génie de la tech. Deux mégalos. Deux visions d’un monde réduit à sa plus simple expression : la haine et l’exploitation de l’autre.
Une image glaçante quand on sait le pacte diabolique que les deux hommes ont potentiellement fomenté en vue de cette reconquête méthodique et cynique du pouvoir. Une terrifiante parabole de la réalité actuelle : l’alliance de la démagogie et de la technologie.
La triste asphyxie de la pensée
Rien de nouveau, hélas, sous le soleil. Mais le mal, incontestablement, métastase. La vie politique est une chose sérieuse passée désormais aux mains des entertainers. Les maîtres du divertissement, du show permanent, qui carburent à l’émotion, à la violence, au choc des images et des mots ont trouvé leurs meilleurs alliés : les caisses de résonnance des réseaux sociaux.
Exit le monde des idées, la complexité du raisonnement et de la saine confrontation des opinions : place désormais au zapping des slogans qui claquent et réveillent l’instinct le plus primaire qui sommeille en chacun de nous. Place aussi à la binarité des avis qui ne laisse plus aucun champ à la nuance et au compromis.
« (…) société du spectacle, où n’importe quoi peut être dit ou condamné n’importe comment, où toute cruauté peut être assénée et toute vérité jugée blasphématoire, tout-à-l’égout finalement du dicible et de l’indicible. »
Guy Debord avait vu juste il y a près de soixante ans avec sa condamnation d’une société du spectacle qui n’a fait que prendre depuis une ampleur nous piégeant à un asservissement, une asphyxie de la pensée. Le tout attisé par des outils technologiques qui ont ouvert la boîte de pandore du défoulement.
La polarisation du débat public, l’instantanéité des informations entraînant l’absence de prise de recul, l’émotion et le culte des passions, la remise en cause des autorités, de toute forme d’autorité, bref une liberté libertarienne qui ne se donne plus aucune limite autre que celle qu’elle estime juste de se fixer, sont le fruit d’une société débridée, société du spectacle, où n’importe quoi peut être dit ou condamné n’importe comment, où toute cruauté peut être assénée et toute vérité jugée blasphématoire, tout-à-l’égout finalement du dicible et de l’indicible. L’ère d’un miroir sans teint pour nos narcissismes fanés. Triste monde, en somme.
Retrouver la beauté
C’est la beauté du monde que ce monde-là veut effacer. C’est la beauté du monde qu’il faut reconquérir. Notre part d’humanité qu’il faut retrouver et encenser.
Dans un monde où technologues et démagogues vont tenter de redessiner nos vies à l’aune d’un désenchantement qui semble nous condamner à l’impuissance et au désengagement, nous devons au contraire réaffirmer la place du lien social, l’importance d’oeuvrer pour conserver et magnifier la beauté du monde, réenchanter et réaffirmer les valeurs qui définissent la dignité humaine.
Nous en sommes là. Au-delà des nationalismes stériles, nous devons réaffirmer la place de communautés de valeurs fortes telles que celles portées par l’Europe. Nous devons réaffirmer l’importance de l’état de droit, l’importance de la règle commune, et l’importance de nos fondamentaux humanistes. Mais pour passer de l’incantation stérile à l’action qui édifie, il nous faudra agir sur le réel.
« Nous devons réaffirmer l’importance de l’état de droit, l’importance de la règle commune, et l’importance de nos fondamentaux humanistes. Mais pour passer de l’incantation stérile à l’action qui édifie, il nous faudra agir sur le réel. »
Cela revient à réaffirmer notre rôle de producteurs, de créateurs, d’ingénieurs, de travailleurs, d’entrepreneurs, de serviteurs de l’intérêt général avant que d’être de simples consommateurs avides de loisirs et revendicateurs de droits égotistes.
Sans doute aussi devrons-nous, à l’instar de l’Australie qui a décidé cette semaine d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans, nous montrer beaucoup plus fermes sur l’usage des écrans chez les plus jeunes. Premières victimes de ce monde du spectacle binaire qui les abrutit et les désenchante.
L’espoir viendra du sursaut. Mais aussi du courage. Nécessaire pour regarder le monde en face, tel qu’il est dans toute sa complexité et, d’une certaine manière, dans son absurdité la plus crue. Nous forçant ainsi à abandonner certaines de nos habitudes, certitudes et autres petites lâchetés qui tiennent avant tout du confort.
La reconquête de la beauté du monde appelle l’exigence du sursaut. C’est cela qui rend au fond l’avenir aussi enthousiasmant que porteur de tous les espoirs possibles. Make Beauty Great Again. Tel est notre slogan.
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