La Cité Internationale de Lyon a accueilli, les 18 et 19 septembre derniers, l’événement phare des technologies, le SIDO. Différents experts se sont penchés sur l’utilisation de l’IA au sein des collectivités pour un avenir plus durable et inclusif. L’occasion de découvrir, avec des cas concrets, la notion de frugalité appliquée à l’intelligence artificielle.
48% c’est le taux d’augmentation des émissions carbone de Google en 2023 par rapport à 2019. Un chiffre important justifié par l’explosion des besoins en intelligence artificielle. Cette augmentation a contraint le géant du numérique, mais aussi ses concurrents comme Microsoft ou encore Amazon également concernés, à revoir leurs objectifs de neutralité carbone.
Pourtant, si l’IA semble aggraver l’impact écologique du numérique, elle pourrait également résoudre certains enjeux écologiques grâce à son analyse de données massives. Un paradoxe qui a donné naissance à l’appel à projet (AAP) « France 2030 – Démonstrateurs d’IA frugale au service de la transition écologique dans les territoires ». C’est ce dont sont venus témoigner certains experts il y a quelques jours à Lyon lors du 10ème grand rendez-vous des technologies, le SIDO.
IA frugale et sobriété de données
Quand on parle d’IA frugale, difficile de réellement comprendre le sens de ce terme. C’est devant un public attentif que Gilles Ribeaucourt, Directeur général chez Muvraline, prend soin de rappeler la définition de l’IA: « L’IA c’est un programme informatique qui va intégrer de l’amélioration continue, elle se base sur le passé pour améliorer les performances au fur et à mesure. »
Un rappel plus que nécessaire, bien souvent lorsque l’IA est évoquée, on parle souvent de sa forme générative, mais elle peut également consister en des calculs dans des centres de données, des réseaux ou des capteurs. Ce sont notamment ces données qui peuvent être utilisées dans le cadre de l’exploitation de l’IA frugale.
Juliette Fropier, cheffe de projet Intelligence Artificielle au Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, explique par ailleurs ce que signifie IA frugale: « C’est un système pour lequel l’objectif premier est de réduire la consommation de ressources, et non pas d’arriver à une précision du modèle. » Autrement dit, il s’agit plutôt de viser la qualité des données plutôt que la quantité.
En juin 2024, l’Ecolab a par ailleurs élaboré avec l’Afnor un référentiel définissant la notion d’IA frugale. « Pour qu’un système d’IA soit qualifié de frugal, une prise en compte de l’ensemble de son cycle de vie, de la conception à sa mise hors service, est nécessaire », rappelle le référentiel.
« La frugalité passe d’abord par l’évaluation de savoir si on a besoin d’IA. L’IA frugale c’est une IA qui se questionne »
– Juliette Fropier, cheffe de projet Intelligence Artificielle au Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires
L’idée n’est pas d’intégrer à tout prix de l’IA dans un projet si cette dernière n’est pas nécessaire. «La frugalité passe d’abord par l’évaluation de savoir si on a besoin d’IA. L’IA frugale c’est une IA qui se questionne », ajoute Juliette Fropier. La frugalité implique également de limiter le volume de données utilisées et de minimiser les ressources énergétiques pour moins consommer.
Des projets démonstrateurs
Réduire la consommation énergétique des bâtiments, ainsi que celle de l’eau et favoriser la biodiversité… L’IA frugale peut répondre à différents besoins des collectivités. Dans le cadre de l’AAP « France 2030 – Démonstrateurs d’IA frugale au service de la transition écologique dans les territoires », la ville de Noisy-le-Grand a décidé de mener son projet RECITAL avec un objectif ambitieux: réduire ses consommations énergétiques de 20% d’ici 2 ans et de 50% d’ici 2030.
« Quand on a 200 bâtiments et qu’on veut modéliser on rentre dans des combinatoires ou l’humain est limité. C’est à ce moment-là que l’IA est utile pour piloter plus finement le budget et réduire l’impact carbone », explique Philippe Sajhau, directeur de la ville intelligente, de l’innovation et de la donnée à Noisy-le-Grand.
L’enjeu pour la ville est de gagner 10 gigawatts. « Nous allons mettre le moins de capteurs possible, relever le compteur juste ce qu’il faut pour avoir l’information nécessaire et des données en temps réel sur les bâtiments. Il y a l’idée de faire avec », ajoute Philippe Sajhau.
« Nous allons mettre le moins de capteurs possible, relever le compteur juste ce qu’il faut pour avoir l’information nécessaire et des données en temps réel sur les bâtiments. Il y a l’idée de faire avec »
– Philippe Sajhau, directeur de la ville intelligente, de l’innovation et de la donnée à Noisy-le-Grand
Le projet mené par la ville de Noisy-le-Grand n’est pas le seul retenu. Le 10 septembre 2024, huit nouveaux lauréats ont intégré l’AAP démonstrateurs d’IA frugale, rejoignant les quatre territoires déjà labelisés, parmi lesquels figurent Bordeaux, Metz et la Vendée.
Ces initiatives ont vocation à être diffusées par la suite auprès d’autres acteurs publics en réutilisant les modèles d’IA existants. « Une ville n’est jamais identique à une autre, mais des briques vont être similaires, certains modèles seront la combinaison d’autres modèles », précise Philippe Sajhau.
Une législation à développer
Pour utiliser une IA frugale, il faut évaluer son coût et voir l’entraînement possible, c’est -à -dire sa configuration. Or, difficile de savoir en quoi consiste réellement cet entraînement, en raison de l’insuffisance du cadre légal français. « En France, on ne décide pas beaucoup sur l’IA, mais à l’échelle européenne, l’AI Act sera applicable en 2026. Elle encouragera les fournisseurs d’IA à prendre en compte les besoins énergétiques », précise Juliette Fropier.
Cette norme permettrait de répondre aux défis d’adoption que rencontre l’IA frugale. « L’IA présente également des limites dans la transparence de ses données, la norme européenne permettrait d’améliorer cet aspect », ajoute Juliette Fropier. En raison de ce manque d’encadrement, l’industrialisation de l’IA s’avère complexe, mais les experts restent optimistes quant à son évolution.
« Nous travaillons sur des solutions d’optimisation, il y a le RGESN (référentiel de l’éco-conception numérique), mais aussi l’AFNOR SPEC 2314 », conclut Gilles Ribeaucourt, Directeur général chez Muvralin. Ces dernières permettraient ainsi de mieux encadrer à l’échelle nationale l’éco-conception des systèmes d’IA.
Pour aller plus loin:
L’IA comme réponse aux incertitudes géopolitiques et environnementales
Crédit Image à la Une : Justine Magand